Archives: correspondances inédites, manuscrits, documents...

(Laure Verbaere et Donato Longo)

Lettre de Juliette Favez-Boutonier

à Donato Longo

Juliette Favez-Boutonier enseigne la philosophie en classe Terminale de lycée.


du 18 mai 1982



transcription


 

 

Mme Juliette Favez-Boutonier

48, rue des Ecoles

75 005 Paris

téléphone : 354. 00. 52

 

18 mai 1982

 

 

Monsieur,

 

 

Je réponds à votre lettre du 3 mai dernier qui m’a amenée à réfléchir sur un passé déjà lointain pour vous apporter, dans la mesure du possible, les renseignements que vous attendez d’un « témoin » de cette époque.

 

Je dois vous dire tout d’abord que, professeur de philosophie dans les classes terminales des lycées, jusqu’en 1939, je n’étais pas spécialiste de l’histoire de la philosophie. De plus, après 1931, j’ai entrepris parallèlement des études de médecine qui m’ont de plus en plus orientée vers la psychopathologie et la psychologie, ainsi que la psychanalyse.

 

Nietzsche parmi les philosophes de l’époque moderne (expression de Bréhier, que j’ai connu comme professeur) m’a évidemment intéressée, mais pas au point de l’étudier plus particulièrement.

 

J’ai demandé à un collègue philosophe et plus spécialisé que moi-même (plus jeune aussi) s’il avait comme moi l’impression, qui est également la vôtre, que Nietzsche ne retenait pas particulièrement l’intérêt des philosophes entre les 2 guerres. Il le pense aussi, et estime que c’est vers 1950 que l’attention s’est portée sur Nietzsche et sur ce qu’il appelle « la philosophie du soupçon ». Ce professeur, M. Yvon Brès, à qui j’ai fait part de votre recherche, est disposé à vous répondre si vous souhaitez vous entretenir avec lui de ces question (Pr Brès, UER Sciences Humaines Cliniques, Université Paris VII, 13 rue de Santeuil 75 005 Paris).

 

Je me suis par ailleurs rappelée que durant les années 30-35, où j’étais à Dijon, j’ai connu Mme Geneviève Bianquis, qui s’intéressait particulièrement à Nietzsche, mais le souvenir que j’en garde concerne surtout les questions qu’elle me posait au sujet de la maladie de Nietzsche, car on parlait facilement (cf. Bréhier) de la « paralysie générale », la syphilis étant à cette époque très vite mise en avant, et Mme Bianquis pensait que Nietzsche n’avait jamais eu les symptômes de cette maladie, dont nous avions encore sous les yeux de nombreux cas. Je pense qu’elle n’avait pas tort, mais je n’ai jamais vraiment pris connaissance des travaux qu’elle a consacrés à Nietzsche. Les connaissez-vous ? (« Nietzsche en France » publié en 1929 est cité par Bréhier)

 

Vous le voyez, je ne vous apporte guère de renseignements, mais si vous désirez me parler et me poser des questions, je préfèrerais vous voir que vous écrire. Il est certain que, dans mon expérience et mes souvenirs, Nietzsche n’apparaissait pas comme exerçant une influence politique, et les élèves de cette époque ne se précipitaient pas sur Nietzsche comme ils se précipitèrent plus tard sur Sartre, par exemple (sans incitation du professeur) C’est le problème de l’histoire, qui met en lumière parfois après coup ce qui n’a pas été perçu par ceux qui l’ont vécu ! A cet égard M. Dubief est mieux placé que moi pour orienter votre réflexion, et c’est en fait un problème philosophique bien intéressant : à quel moment perçoit-on vraiment le réel ?..

 

Veuillez croire, Monsieur, à mes sentiments les meilleurs.

 

 

J. Favez

 

 

P.S. Je serai absente du 26 mai au 5 juin.