Nietzsche au théâtre

dans


Faits divers... et d'été de Dominique Bonnaud (1909)



Comédie-Revuette de Dominique Bonnaud (1864-1943) publiée dans les Annales politiques et littéraires du 25 juillet 1909.



Fin de la comédie



Texte et zoom sur la chanson


Mme DOUVENEL. — Vous étiez, en effet, un peu sévère pour nos rêves de campagne... La ville d'eaux, je vous l'assure, a des côtés agréables.

LEGAFFEUR. — Pour vous, certes!... C'est un cadre nouveau offert à votre triomphale beauté... Mais pour moi! Dites-moi, je vais vous sembler bien indiscret. On a dû beaucoup vous faire la cour, depuis que vous êtes ici.

Mme DOUVENEL. — Moi!... Oh! ma foi, non. Si, cependant, j'ai un prétendant, j'ai un flirt : un jeune romancier, un Nietzschéen.

LEGAFFEUR. — Un lycéen, bigre... Il est pressé.

Aime DOUVENEL. — Mais non, baron, un Nietzschéen, un disciple de Nietzsche...

LEGAFFEUR. — Un Allemand?

Mme DOUVENEL. — Mais non, un Français, mais qui s'efforce d'acquérir l'âme et la mentalité d'un surhomme...

LEGAFFEUR. — Qu'est-ce que ce galimatias?

 

SCÈNE V

Entre Saint-Pons.

Mme DOUVENEL. — Il va vous le dire lui-même. (A Saint-Pons ) Monsieur de Saint-Pons, voulez-vous me permettre de vous présenter à un des plus vieux et des meilleurs amis de mon regretté mari? Le baron Legaffeur... (Présentant.) M. de Saint-Pons, romancier, disciple de Nietzsche.

LEGAFFEUR. — Monsieur...

SAINT-PONS, froid..— Monsieur!. (Un temps.) Oui, monsieur, je suis un disciple de Nietzsche.

LEGAFFEUR. — Mes compliments... Ce doit être un professeur remarquable. Où exerce-t-il?

SAINT-PONS. — Nulle part... Il est mort. Mais il a laissé son oeuvre.

Mme DOUVENEL. — Et c'est en s'inspirant de cette oeuvre que M. de Saint-Pons espère devenir un surhomme...

LEGAFFEUR. — Un surhomme? Bigre, vous n'y allez pas de main morte...

 

AIR de Barbe-Bleue : Ma première femme est morte. (HEUGEL et Cie, éditeurs.)

 

LEGAFFEUR, riant. — vous m'excuserez, si je ris, monsieur; mais j'arrive de loin.

SAINT-PONS. — De Pontoise?

LEGAFFEUR. — De Madagascar seulement... Mais vous me sembfez avoir la réplique un peu vive de vous à moi.

Mme DOUVENEL, qui craint une dispute. — Baron, messieurs. Vous n'allez pas vous quereller... pour un philosophe qui est mort et qui n'était même pas Parisien!

LEGAFFEUR. — Non, madame; mais, si M. de Saint-Pons est un surhomme, il doit avoir un courage surhumain, une intelligenoe surhumaine. Il comprendra donc que le fait de dire à un monsieur qu'il arrive de Pontoise est une insulte...

Mme DOUVENEL.— Oh! baron...

SAINT-PONS. — Monsieur, ma surhumanité réprouve le duel... Au reste, je n'ai point entendu vous outrager, et un surhomme peut faire des excuses. Prenez cela comme vous voudrez, (il sort, à part.) Voilà bien ma chance! Un flirt qui marchait si bien.