Des sources pour quoi faire?

Autour d'une histoire croisée de Nietzsche en France

Laure Verbaere (2013)


Rassembler les sources conduit naturellement à s'interroger sur l'articulation entre le corpus et l'objet ou plutôt induit de ré-interroger l'articulation entre les méthodes et l'objet. L'historiographie de la réception de Nietzsche en France (mais aussi dans d'autres aires nationales)  est assez riche et désormais ancienne pour identifier et formuler les problèmes rencontrés. Sans rien enlever aux mérites des travaux existants, repérer les difficultés méthodologiques et épistémologiques et pointer les points aveugles est probablement un passage obligé pour que de nouvelles pistes soient explorées.

Le but est ici d'envisager l'hypothèse d'une histoire croisée appliquée à ce qu'on appelle communément la réception de Nietzsche en France. Quels seraient les avantages et les apports d'une telle démarche? Aurait-elle des répercussions sur l'objet et donc modifierait-elle la vision qui prédomine aujourd'hui? Ou induirait-elle un nouvel objet, c'est-à-dire conduirait-elle à la construction d'un objet inédit?

Je m'appuierai sur la contribution programmatique de Werner et Zimmermann dans De la comparaison à l'histoire croisée (2003) qui me servira de fil conducteur pour examiner les différents aspects de la question.


L'histoire croisée se présente comme une alternative aux approches comparatistes et aux études de transferts culturels qui sont les deux angles sous lesquels l'histoire de la réception de Nietzsche a jusqu'à présent été abordée, notamment en France par Angelika Schober (1990), Louis Pinto (1995) et Jacques Le Rider (1999). Même si ces travaux n'appartiennent pas exclusivement à l'une ou l'autre de ces deux angles, je les séparerai ici par commodité, pour suivre mon fil conducteur.


  • L'approche de type comparatiste s'accommode

à la base, repose sur une opposition binaire entre différence et similitude

objet empirique constitué de multiples dimensions imbriquées


problèmes de fond:


position décentrée de l'observateur


choix du niveau de la comparaison, de l'échelle


définition de l'objet de comparaison, tenir compte de son historicité


conflits entre logiques synchroniques et diachroniques, fixer l'objet, recherche d'équilibre


  • Sous l'angle des transferts culturels, la réception de Nietzsche pose d'autres problèmes.

ok, étude de processus de transformation mais aussi problèmes:


cadre de référence: présuppose un début et une fin qui sont saisis à travers des références nationales stables, présumées connues


catégories d'analyse appartiennent aux différents registres nationaux


même si mesure des écarts, pas d'historicité des catégories


d'où déficit de réflexivité: catégories réintroduisent les références nationales qu'il s'agissait de relativiser

ok meilleure approche de culture de réception, historicise concept de culture nationale

mais conforte les a priori qu'elle véhicule


pas de réciprocité, processus linéaires simples, pas étude des phénomènes d'interaction


  • La figure du croisement permet étude d'interactions


  • L'ensemble de ces problèmes qui renvoient à la difficulté d'historiciser Nietzsche a été pointé par Megill dans "Historicizing Nietzsche..." (199X). En pratique, il ne fait que rappeler les difficultés que rencontrent les chercheurs au quotidien dans leurs pratiques d'historiens. Sans trouver de réelle solution, il n'a pas empêché l'apparition de travaux à l'échelle du XXe siècle. On peut même formuler l'hypothèse que le long terme a peut-être permis aux travaux de faire l'impasse sur la question - par exemple en optant pour la perspective du succès qui joue le rôle de point d'arrivée fixe et relativement indiscutable. A l'opposé, les difficultés n'ont jusqu'à présent pas permis de penser l'histoire de Nietzsche au-delà l'échelle nationale. Les quelques approches européennes se sont révélées décevantes car elles ne consistaient qu'en juxtapositions d'études de cas nationales.