Bibliographie inédite des publications françaises sur Nietzsche 1868-1940 (Laure Verbaere et Donato Longo)

 

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Teodor de Wyzewa (1863-1917)

Portrait par Jacques-Emile Blanche
Portrait par Jacques-Emile Blanche

 Auteur, préfacier, traducteur et critique, d'abord wagnérien, il rompt avec les milieux symbolistes pour rejoindre en 1890 les revues bien établies comme la Revue des Deux Mondes et la Revue bleue. Au sujet de Wyzewa, André Hallays écrit en 1893 : « M. Teodor de Wyzewa est un des esprits les plus visés, les plus curieux et les mieux renseignés de notre temps. Il a beaucoup lu, beaucoup vu, beaucoup compris. Il est fort intelligente, - et je prend ici le mot dans la rigueur de son sens étymologique. Son influence a été grande sur les jeunes hommes qui ont vécu près de lui » ; cf. « M. Teodor de Wyzewa », in Journal des Débats, 16 juillet 1893.

Paul Delsemme conclut la biographie qu'il lui a consacrée en insistant : « Partout où il passait, Teodor de Wyzewa laissait une trace profonde, ineffaçable. Sous des apparences chétives et frileuses, ce diable d'homme dissimulait le désir de dominer et le besoin de subvertir » ; cf. Paul Delsemme, Teodor de Wyzewa et le cosmopolitisme littéraire en France à l'époque du Symbolisme, Presses Universitaires de Bruxelles, Bruxelles, 1966, p. 356. Cf. aussi Paul Delsemme, « Teodor de Wyzewa, éminence grise du symbolisme français » in Joanna Zurowska et Maciej Zurowski (éd.), Le symbolisme en France et en Pologne : médiateurs et résistances, Varsovie, Editions de l'Université de Varsovie, 1989, p. 13-29.

Voir la bibliographie réalisée par Esther Jakubec et Catherine Méneux (2017)

Voir aussi Traces orales



WYZEWA Teodor de, "Frédéric Nietsche, le dernier métaphysicien", in Revue bleue 48, 7 novembre 1891, p. 586-592.

 

WYZEWA Teodor de, "Un romancier naturaliste allemand. M. Théodore Fontane", {Notes sur les littératures étrangères}, in Revue Bleue 48, n˚24, 12 décembre 1891, p. 751-757.

A propos de l'attribution du prix Schiller : "Et si au lieu d'adjoindre à M. Fontane, pour ce prix, un obscur poète de province, on était allé mettre sur la tête de Frédéric Nietsche, dans sa maison de santé, l'autre moitié de la couronne, c'est vraiment les deux écrivains les plus remarquables, les deux seuls écrivains remarquables de l'Allemagne contemporaine que l'on aurait ainsi désignés à l'admiration de leurs compatriotes" (p. 757).

 

WYZEWA Teodor de, « Richard Wagner. D’après les souvenirs de M. de Wolzogen », in Revue bleue, 23 janvier 1892, p. 119-122.

Invite les musiciens à lire la « brochure » de "Nietsche" sur Wagner. Note qu’elle a porté un « coup terrible » à la « religion wagnérienne » (p. 122).

 

WYZEWA Teodor de, "Nietsche", in Le Figaro 10 avril 1892, p. 1.

Réaffirme catégoriquement ce qu'il a déjà dit en 1891. Selon lui, la pensée de Nietzsche est simple : "(...) elle se réduit tout entière à cette courte phrase : "Il n'y a rien"". Se proposant d'étudier "l'oeuvre posthume" de Nietzsche, Wyzewa commence par remarquer : "Oeuvre posthume n'est peut-être pas le mot qui convient, car Frédéric Nietsche n'est pas mort. Mais mieux vaudrait qu'il le fût, le malheureux! Depuis quatre ans, la paralysie générale s'est emparée de ses moelles, et chaque jour il cesse davantage de ressembler à un homme". Il répète la même erreur qu'en 1891 : "Un de mes amis a vu récemment le docteur Nietsche dans la maison de santé badoise où il est enfermé. Il ne reconnaît plus personne, il ne parle plus. Le plus original écrivain de l'Allemagne contemporaine, le maître de la jeunesse allemande, le dernier métaphysicien cesse tous les jours davantage d'être pareil à un homme!".

Il se montre parfois particulièrement mal informé, affirmant notamment : "Pour avoir été écrite, comme le reste de l'ouvrage en 1885, la quatrième partie de Zarathustra n'en est pas moins le testament philosophique de Nietsche. Guetté par la folie, c'est à peine si le malheureux a pu ébaucher ensuite quelques chapitres du nouveau livre qu'il méditait, la Dépréciation de toutes les valeurs. Le petit volume qui vient de paraître est ainsi le dernier en date des ouvrages qu'il ait pu achever".

Dans une lettre à Peter Gast en mai 1892, Franz Overbeck écrit: "Auffallend Correctes neben ganz Unsinnigem bot auch vor einigen Wochen ein Herr T. v. Wyzewa aus, der in einem Leitartikel des Figaro unter den Majuskeln NIETSCHE - das Z offenbar um der wünschenswerthen Stilisirung des Namens willen weglassend, - Zarathustra IV besprach." (cité d'après Franz Overbeck Heinrich Köselitz [Peter Gast] Briefwechsel, herausgegeben und kommentiert von David Marc Hoffmann, Niklaus Peter und Theo Salfinger, Berlin, New York, Walter de Gruyter, 1998, s. 359.

 

WYZEWA teodor de, "Petite correspondance", in Le Figaro, 6 août 1892, supplément littéraire du dimanche, p. 129.

Longue réponse à un lecteur du journal qui demande des informations sur les publications et les compositions musicales de "Nietsche".

 

WYZEWA Teodor de, "Littérature wagnérienne (suite). Le Drame wagnérien par H. S. Chamberlain (Chailley)", {Les livres nouveaux}, in Revue bleue, tome 2, n˚13, 29 septembre 1894, p. 409-411.

Evoque les relations entre Wagner et Nietzsche (p. 409).

 

WYZEWA Teodor de, "La dernière œuvre de Frédéric Nietzsche", in Le Temps 3, 5 décembre 1894.

 

WYZEWA Téodor de, "Enquête franco-allemande. I. Réponses françaises. M. Téodor de Wyzewa", in Mercure de France, tome 14, n˚64, avril 1895, p. 30-32.

Wyzewa ne voit "aucun avantage pour la France à entretenir avec l'Allemagne des relations intellectuelles plus suivies" car l'Allemagne exerce selon lui une influence déjà suffisamment néfaste pour la pensée française. Parmi d'autres personnalités allemandes qui ont rencontré le succès à Paris, il signale : "Wagner, Nietzsche et M. Théodore Fontane nous sont désormais familiers" (p. 30).

 

WYZEWA Teodor de, "Les écrits posthumes d'un vivant", in Le Temps 2, 7 décembre 1895.

Compte rendu de Nietzsche, Schriften und Entwürfe.

Description de l'état de Nietzsche. Il "pousse des petits cris inarticulés en avalant la pâtée qu'on lui introduit dans la bouche". Plus loin : "Rien d'humain ne subsiste plus chez le théoricien du super-homme : c'est une âme et un corps en décomposition".

 

WYZEWA Téodor de, "La jeunesse de Frédéric Nietzsche", in Revue des Deux Mondes, tome 133, 1er février 1896, p. 688-699.

Commence par remarquer : "En France, un jeune enthousiaste, M. Henri Albert, s'est constitué l'interprète, l'apôtre fidèle du nietzschéisme" (p. 689).

Au sujet du portrait de Nietzsche par Kurt Stoeving publié par la revue berlinoise Pan, semble regretter sincèrement "cette image sinistre, -que M. Stoeving aurait mieux fait, peut-être, de ne point peindre, et la revue allemande de ne point publier" (p. 689). Cependant, lui consacre deux longues pages : "L'auteur, M. Kurt Stoeving, y a simplement représenté tel qu'il le voyait devant lui, assis sur un banc, au fond d'un jardin, un homme d'une quarantaine d'années, tête nue, les mains croisées sur les genoux. Mais il n'y a pas jusqu'au geste des doigts, trop longs et trop effilés, il n'y a pas jusqu'à la pose du corps, à la fois inquiète et abandonnée, qui n'achèvent de donner à l'ensemble de ce portrait un caractère inoubliable, obsédant et douloureux comme le souvenir d'un cauchemar. Le visage est pâle, déformé, usé, -dirait-on, - par de longues années de lutte intérieure. Les sourcils froncés, les narines relevées, les lèvres, serrées sous l'épaisse moustache tombante, expriment une méfiance mêlée d'angoisse ; tandis que, sous un front d'un hauteur et d'une largeur démesurées, les yeux regardent fixement dans le vide, deux yeux de bête, immobiles et sans pensée, des yeux qui ne voient pas et ne comprennent pas, mais où se lit plus clairement encore cette même expression d'épouvante désespérée" (p. 688-689).

Poursuit ensuite en insistant toujours lourdement sur l'état de Nietzsche : "Rien ne reste plus de Frédéric Nietzsche qu'une masse inerte, la misérable chose que nous représente le portrait de M. Stoeving" (p. 689).

Estime que Nietzsche souffrait d'une "mobilité maladive qui toute sa vie le portait à se dégoûter de ce qu'il avait trop aimé" (p. 693) et d'une "hypertrophie de l'intelligence" (p. 690) qui permet d'expliquer déjà "les sources de son mal" : "(...) dès les premières pages de sa biographie on découvre l'une d'elles, cette activité anormale de l'intelligence, qui tout de suite a porté l'enfant à vouloir tout apprendre, tout comprendre, qui a dix ans a fait de lui un poète, un musicien, un philologue et un auteur dramatique" (p. 691).

Fait volontiers l'éloge de Richard Wagner à Bayreuth et note : "Que l'auteur de ce livre, plus tard, -lorsque son intelligence commençait à s'obscurcir, - ait tourné le dos à la vérité naguère si clairement perçue, et qu'il ait dirigé de folles brochures contre l'homme dont il avait mieux que personne apprécié la grandeur, cela ne doit pas nous empêcher de faire de son livre l'estime qui convient" (p. 698).

Concernant le Cas Wagner : "La gloire du maître de Bayreuth, - est-il besoin de l'ajouter, - n'a rien à redouter (...). A supposer même que les Maîtres chanteurs et Parsifal fussent l'œuvre d'un acteur manqué, leur immortelle beauté n'en reste pas moins ce qu'elle est." (p. 699).

Conclut en insistant sur le travers caractéristique de Nietzsche : "Voilà donc l'emploi que faisait le malheureux de cette intelligence si belle, si amoureusement cultivée, et dont il avait tant d'orgueil : il s'en servait pour contrarier toujours les élans les plus spontanés de son âme, pour appliquer à ses plus chères affections son funeste besoin de "réflexion objectives", pour élargir, pour approfondir sans cesse le vide autour de lui" (p. 699).

 

 WYZEWA Teodor de, Ecrivains étrangers, vol. 1, Paris, 1896.

Contient, "Le dernier métaphysicien" et "La jeunesse de Nietzsche" (p. 2-51).

 

WYZEWA Téodor de, "L'amitié de Frédéric Nietzsche et de Richard Wagner", {Revues étrangères}, in Revue des Deux Mondes, tome 141, 15 mai 1897, p. 457-468.

Résume brièvement le contenu du livre puis remarque : "Tel est, dans ses lignes essentielles, le plan du second volume de la biographie de Nietzsche : et l'on ne s'étonnera pas après cela que, mal composée, diffuse, encombrée de vains détails et de commentaires superflus, cette partie du récit de Mme Förster soit cependant plus curieuse encore que la précédente. Elle a l'unité et la variété, et le charme, et la vie d'un roman.

Mais, hélas! Ce n'est qu'un roman. Et toute autre nous apparaît l'histoire véritable des relations de Nietzsche et de Richard Wagner (...)" (p. 458).

Selon Wyzewa : "Nietzsche vint, en effet, assister aux répétitions. Mais il était d'humeur plus bizarre, plus hargneuse que jamais. C'est à peine si Wagner l'apercevait de loin en loin, promenant sa tristesse parmi l'allégresse bruyante des autres wagnériens. Et puis brusquement, un beau jour, on apprit qu'il était parti. Pourquoi? Personne ne le savait, et personne d'ailleurs ne se souciait de le savoir. On avait, à cette heure décisive, bien autre chose en tête! Et comme on l'avait laissé partir on le laissa revenir, quelques temps après. De nouveau, Wagner l'entrevit, errant dans la foule. Il pensa sans doute que le pauvre garçon devait être malade ; il lui avait toujours dit que l'excès de travail ne lui valait rien" (p. 463).

 

WYZEWA Teodor de, Beethoven et Wagner, Paris, Perrin, 1897.

Contient un passage sur l'amitié entre Nietzsche et Wagner (p. 174-197).

 

WYZEWA Téodor de, "Frédéric Nietzsche et le culte de Bismarck", in Le Temps 2, 21 décembre 1898.

 

WYZEWA Téodor de, "Documens nouveaux sur Frédéric Nietzsche", in Revue des Deux Mondes 154, 15 juillet 1899, p. 453-462.

Au sujet de la publication de Jacok Burckhardt et Nietzsche, Briefwechsel, et des mémoires de Malwida von Meysenbug.

 

WYZEWA Teodor de, "Cent ans de littérature allemande", {Revues étrangères}, in Revue des Deux Mondes, tome 157, 15 janvier 1900, p. 456-467

Compte rendu de Richard M. Meyer, Die Deutsche Litteratur des Neunzehnten Jahrhunderts. Wyzewa regrette que l'ouvrage ne fasse pas mieux connaître les "origines et les conséquences d’œuvres comme celles de Heine, de Wagner, ou de Nietzsche" (p. 461). Wyzewa déplore que, comme beaucoup d'Allemands, Meyer tienne ""l'écrasement de l'Infâme" pour le devoir sacré de tout homme qui pense" et qu'il mesure "le mérite d'un auteur d'après son plus ou moins de haine contre l'esprit chrétien. Ainsi s'explique l'importance extrême qu'attachait le malheureux Nietzsche à son Anté-Christ (...)" (p. 462). A propos du poète Frédéric Hebbel, Wyzewa remarque que son Journal fait songer "par endroits aux recueils d'aphorismes de Nietzsche" (p. 466-467). Wyzewa reconnaît conclut enfin, comme Meyer, qu'après avoir produit "tant d’œuvres diverses pendant toute la durée du XIXe siècle, de Goethe et de Schiller à Frédéric Nietzsche", la littérature allemande traverse désormais une crise (p. 467).

 

WYZEWA Teodor de, "Le Crépuscule des Idoles. - Le Cas Wagner. - L'Antechrist, par Frédéric Nietzsche", {Livres nouveaux. Littérature. Beaux-Arts. - Voyages}, in L'Illustration, n˚2968, 13 janvier 1900, p. 30.

 

WYZEWA Téodor de, "A propos de la mort de Nietzsche", {Revues étrangères}, in Revue des Deux Mondes 161, 1er octobre 1900, p. 697-708.

 

WYZEWA Teodor de, "Le Gai Savoir, par Frédéric Nietzsche", {Livres nouveaux. Histoire. - Philosophie}, in L'Illustration, n˚3024, 9 février 1901, p. 94.

 

WYZEWA Téodor de, "Un ami de Nietzsche : Erwin Rohde", in Revue des Deux Mondes, tome 11, 15 octobre 1902, p. 936-946.

 

WYZEWA Teodor de, "La mère de Frédéric Nietzsche", in Le Gaulois, 4 décembre 1909, p. 4.

 

WYZEWA Teodor de, "Introduction" de Paul Bourget, Le disciple, réédition, Paris, Nelson, 1910, p. 5-16.

Décrit la révolution que représente la publication du roman, en 1889, et l'influence qu'il a eue.

Raconte, pour les hommes de lettres de sa génération, la double surprise de l'époque (mi 1889): la thèse elle-même et que Paul Bourget en soit l'auteur:

"(...) en échange de la tendre et fidèle admiration littéraire qu'avait trouvée chez nous M. Paul Bourget, entendions-nous qu'il partageât toutes les opinions qui nous étaient chères, et au premier rang desquelles figurait une foi absolue dans la supériorité de l'œuvre d'art sur le reste des choses. La doctrine de ce que nos devanciers avaient appelé « l'art pour l'art » avait eu beau changer de nom, au cours des années : elle continuait à nous apparaître comme la première, l'unique vérité. Sans aller peut-être jusqu'à approuver les joyeux paradoxes d'immoralité que quelques-uns d'entre nous s'amusaient, dès ce temps, à développer sur la scène ou dans le roman, — préludant par là au triomphe prochain de la littérature « rosse » , — nous ne souffrions pas que l'artiste, et en particulier l'homme de lettres, eût jamais à se préoccuper de la portée morale de son œuvre ni de ses conséquences dans la vie pratique. Cette vie pratique, d'ailleurs, nous inspirait unanimement le plus parfait mépris. Nous l'entrevoyions si bas au-dessous de notre horizon accoutumé que l'idée ne nous serait même pas venue d'une influence possible de la « pensée » sur elle : sauf à considérer une telle influence, si d'aventure quelque preuve certaine nous l'avait révélée, comme un simple accident dénué d'importance, et tout à fait indigne de nous émouvoir. Nous estimions que le seul devoir du philosophe et du poète, de l'auteur dramatique et du romancier, était de tâcher à exprimer pleinement ses idées, ses sentiments, les résultats de son observation ou de sa fantaisie, sans se troubler des vaines et stupides alarmes de l'aveugle troupeau des « moralistes » de toute provenance et de tout habit. Ignorant encore, ou du moins ne connaissant que d'une manière assez vague, le défi lancé par l'infortuné Nietzsche à l'antique distinction du bien et du mal, déjà nous étions prêts à lui faire l'accueil qu'avaient reçu de nous, avant lui, les théories «amorales» de Taine et de Renan ou cette captivante doctrine du « culte du moi » qui venait alors de nous être prêchée par M. Barrès avec un mélange délicieux de passion poétique et de détachement. Tout cela nous plaisait surtout parce que nous y découvrions autant de hardis et heureux efforts à élargir l'abime creusé depuis longtemps déjà entre la libre vie de l'esprit, telle que nous nous enorgueillissions d'être admis à la vivre, et les médiocres « contingences » de la vie réelle. (p. 8-9).

Cette génération croyait que Paul Bourget partageait "cette fière indifférence à l'égard d'une réalité bassement « bourgeoise » (...). Or, voici que dans l'été de 1889, précisément au lendemain de sa piquante Physiologie de l'Amour moderne, M. Bourget nous donnait un roman qui, sans l'ombre de réserve, se mettait au service d'une doctrine « morale » , et proclamait ouvertement l'étroite liaison intime de la vie de l'esprit et, de la vie réelle, un roman où le philosophe, l'artiste, étaient solennellement accusés d'exercer une action pernicieuse sur de jeunes cerveaux, un roman où ces êtres que nous supposions d'une race surnaturelle étaient solennellement déclarés responsables de toute mauvaise action commise, — à leur insu, parmi l'obscure foule anonyme s'agitant à leurs pieds, sous l'inspiration de l'une de leurs idées ou de l'un de leurs rêves ! Dans un récit d'une vérité et d'une puissance tragique singulières, laissant bien loin dernière soi tous les Essais de Psychologie et toutes les Cruelles Enigmes, voici que le poète d'Edel attaquait de front l'unique opinion qui nous tînt au coeur : notre vaniteuse conscience d'habiter un monde distinct de celui du « bourgeois », et supérieur

à lui. Impossible d'imaginer notre surprise, ni tout ce que nous y avons mêlé d'irritation sourde, sous l'apparent dédain avec lequel nous affections de railler cet étrange caprice passager du charmant et sceptique analyste des passions mondaines. M. Bourget se fût-il même avisé de nous offrir, au lieu de ce malencontreux Disciple, une grosse farce « naturaliste » du genre de Pot-bouille ou de l'immortel A Vau-l'eau, combien le plus « délicat » d'entre nous aurait eu moins de peine à lui pardonner !

Le fait est que, se produisant à cette date, — qui était aussi, sauf erreur, celle de l'Homme Libre de M. Barrès et de la Thais de M. Anatole France, celle des premières études françaises sur la personne et l'œuvre du créateur de Zarathoustra, — le magnifique roman qu'on va lire a été un phénomène infiniment imprévu et curieux de notre histoire littéraire".

Parle de révolte chez les lecteurs de cette génération, de révolution dans l'oeuvre de Paul Bourget.

Note que vingt ans plus tard, la thèse du Disciple est devenue évidente:

"Est-ce-que nous ne sentons pas que toute notre conception présente de nos devoirs comme de nos droits s'est principalement formée en nous sous l'empire de nos émotions esthétiques ou intellectuelles, et que l'action de celles-ci sur nous a été d'autant plus intense qu'elles nous sont apparues entourées de plus de beauté,—avivées par l'exquise musique d'une strophe de Verlaine ou de Baudelaire, enflammées par l'élan fiévreux de la pensée et du rythme dans un chapitre de Nietzsche, illuminées de l'inoubliable sourire que nous voyions flotter doucement autour des lèvres amères de l'auteur de l'Antechrist et de l'Abbesse de Jouarre?"

La thèse est devenue banale, et c'est grâce au Disciple de Paul Bourget.