Bibliographie inédite des publications françaises sur Nietzsche 1868-1940

(Laure Verbaere et Donato Longo)

 

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Vers 1890
Vers 1890

Robert Dreyfus (1873-1939)


Ecrivain et journaliste français, ami de Marcel Proust.


DREYFUS Robert, "La philosophie du marteau", in Le Banquet, mai 1892, p. 65-74.

Conteste l'interprétation de Nietzsche proposée par Teodor de Wyzewa: "Il (Teodor de Wyzewa] a simplement déclaré que Frédéric Nietzsche était pessimiste et nihiliste. Je voudrais pouvoir le dire autrement : c'est inexact. Frédéric Nietzsche a détruit les idoles parce qu'il voulait respecter les dieux. Si M. de Wyzewa croit à l'essence supérieure des divinités qu'a voulu renverser Frédéric Nietzsche, je comprends qu'il le qualifie de nihiliste. Mais au moins, qu'il abandonne l'étrange prétention d'entrer dans la pensée de ce philosophe. C'est à une réfutation qu'il doit se livrer, non pas à une exposition". Et un peu plus loin : "M. de Wyzewa affiche un mépris égayant et mélancolique à l'égard des traducteurs, des commentateurs, des imitateurs (?) qui vont bientôt rendre la philosophie de F. Nietzsche "aussi populaire chez nous qu'elle l'est déjà en Allemagne et dans les pays du Nord", - cette philosophie sur laquelle "il sera toujours temps de revenir". Il est temps d'y revenir tout de suite. MM. Halévy et Gregh ont déjà montré quelle singulière erreur d'interprétation condamnait l'article de la Revue bleue. - Qui sait cependant s'ils n'auraient pu faire à M. de Wyzewa, en souvenir de ses bons antécédents littéraires, application de la loi Bérenger?... Mais voici que le Figaro du 10 avril manifeste un cas de récidive. M. de Wyzewa continue à faire de l'œuvre entière de Frédéric Nietzsche un Manuel de parfait nihiliste. Surprenante opiniâtreté" (p. 66).

Conteste point par point le soi-disant nihilisme de Nietzsche et insiste sur la traduction de "Umwertung" : "M. de Wyzewa a traduit ainsi : Dépréciation de toutes les valeurs. C'est juste le contraire. Pas de chance, M. de Wyzewa! Umwerthung aller Werthe, nous savons ce que cela veut dire : il s'agit de renverser la notion de valeur, de substituer à la Morale des Esclaves, la Morale des Maîtres. Nous traduirions : Rétablissement de toutes les valeurs, si nous osions employer ce terme emprunté au langage de la gymnastique. - Dépréciation de toutes les valeurs, profession de foi nihiliste, ici titre absurde : M. de Wyzewa n'y regarde pas de si près". (p. 67)

Traduit de longs passages du Crépuscule des idoles. La traduction n'est pas parfaite mais bonne en regard du texte actuel et aussi par rapport à ce qui se publie à l'époque.

Conclut en expliquant que son but est "d'opposer la véritable interprétation et l'humble tirage du Banquet à l'autorité habituelle de la Revue Bleue, aux 80 000 exemplaires du Figaro" (p. 74).

 

DREYFUS Robert, "La situation en littérature", in Le Banquet, n˚5, octobre 1892, p. 158-160.

Se prononce contre l'importation des littératures étrangères en France à l'exception de celle de Nietzsche (p.159).

 

DREYFUS Robert, "Frédéric Nietzsche et Peter Gast", in Le Banquet, n˚6, novembre 1892, p. 161-167.

Tourne Wyzewa en ridicule. A propos de la phrase de Nietzsche, "Je ne connais aujourd'hui qu'un seul musicien qui soit capable de tailler une ouverture à pleins bois, et personne ne le connaît", Teodor de Wyzewa vient d'écrire : "Comme un de mes amis lui demandait quel était ce seul là, Nietzsche lui répondit, avec un parfait sérieux, que c'était lui-même". (p. 161) Robert Dreyfus ajoute aussitôt: "Si elle était vraie, la réponse serait amusante. Mais l'ami de M. de Wyzewa est sans doute celui-là même qui fit jadis à Nietzsche une si longue visite à Nietzsche dans une maison de santé badoise où Nietzsche ne séjourna jamais". (p. 161-162)

A propos de la traduction des œuvres de Nietzsche en français, explique : "Les écrits de Nietzsche vont être peu à peu mis en France à la portée de tous ceux qui n'ont pas le désir ou le loisir de recourir au texte. Et quelle plus éloquente ou plus belle exposition pourrait-on trouver de la doctrine nietzschéenne que celle donnée par la maître lui-même dans Au-delà du Bien et du Mal ou dans Ainsi parla Zarathustra?". (p. 166-167)

Résume le problème ainsi : "Entre les deux interprétations qui lui sont offertes, le public français, qui peut choisir, fera bien de suspendre son jugement" (p. 162). ([7])

 

HALEVY Daniel et DREYFUS Robert, "Frédéric Nietzsche : étude et fragments", in Revue Blanche tome 12, n˚87, 15 janvier 1897, p. 57-68.

Introduction des fragments par un récit de la vie de Nietzsche : "L'agonie et la mort de son père, le pressentiment de la vie l'avaient fait à sept ans grave et recueilli. Il fréquentait l'école. Mais il ne jouait, ne riait jamais. Il s'isolait, et ses camarades le surnommaient "Le petit pasteur". Quand on le punissait, il se retirait à l'écart, et méditait. Puis, selon sa conscience, il demandait pardon, ou subissait sa peine en silence.

Son éveil fut rapide. A neuf ans, il fit des vers. A onze, il composa. "Quand on est maître de soi, écrivait-il à treize ans, on est maître de l'univers". A quatorze ans, il avait assez vécu pour résumer ses efforts en une autobiographie qui n'est pas sans beauté. (...)" (p. 57).

Dénoncent l'existence de ce qu'ils nomment une "légende" : "Il existe une légende wagnérienne qui fait de Nietzsche un très méchant enfant vaniteux et désobéissant, puni comme il le mérite par l'imbécilité et la folie" (p. 59).

Racontent la vie de Nietzsche à la manière d'un agréable roman à suspens, avec une volonté évidente d'offrir un portrait avantageux et glorieux ; passent sous silence les dix années de professorat de Nietzsche à Bâle mais insistent sur les souffrances de Nietzsche pour mieux faire apparaître ses victoires sur lui-même ; de même, s'attardent sur les amitiés nouées pour mieux montrer comme l'esprit libre s'en affranchit. Selon eux, Nietzsche montre dès 1882 des signes d'égarement ; ils prétendent qu'ils ne connaissent Nietzsche que par six années de sa vie (1878-1884). Leur description de Nietzsche concordent avec leur récit : "Les yeux rond et fixes presque sortis de la tête, écrit quelqu'un qui le vit alors, les cheveux hérissés, l'air hagard, il semblait un chat en colère" (p. 61).

Concernant les dernières œuvres de Nietzsche, ils jugent : "Et ce sont bien des livres de morsure et de rage, ces trois livres qu'il écrivit alors : Le Cas Wagner, Le Crépuscule des faux Dieux, L'Antéchrist" (p. 61).

Ils concluent : "Un jour enfin, affolé de ses souffrances, il écrivit à ses amis qu'il était le Christ, et que, pour la seconde fois, il venait de mourir sur la croix : c'était la fin.

Dès lors sa conscience faiblit, s'obscurcit, s'éteignit. Une nuit, il fut lucide pour la dernière fois : il s'éveilla, s'assit sur son lit, et murmura par deux fois: "Ich bin dumm"." (p. 61).

Traduction de deux fragments autobiographiques de Nietzsche. Le premier est intitulé "Début d'une petite autobiographie intitulée Aus meinem Leben" (p. 62-63). Le second fragment n'a pas de titre. Traduction d'un chapitre du Crépuscule des idoles, "Le problème de Socrate".

 

DREYFUS Robert, "Gobinisme et nationalisme", in Revue bleue, tome III, n˚8, 25 février 1905, p. 252-256.

Insiste sur les emprunts de Nietzsche à Gobineau (p. 252 et 253).