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(Laure Verbaere et Donato Longo)

Lettre de Pierre Andreu

à Donato Longo


du 30 octobre 1982



transcription


Paris le 30 octobre 1982,

 

 

Monsieur,

 

Les éditions Hachette m’ont fait suivre votre lettre avec un certain retard sans cela je vous aurais répondu plus vite. Je trouve votre sujet de thèse très intéressant et aussi très difficile car comme vous le notez déjà, je ne crois guère que l’influence de Nietzsche soit très importante dans les divers courants politiques et intellectuels (?) d’avant-guerre, mais je ne suis pas un spécialiste de Nietzsche. Je vous conseille très vivement de prendre contact de ma part avec Julien Hervier qui a une chaire de littérature comparée à Poitiers et qui est un spécialiste de Drieu et de Nietzsche (12, rue Linné, 587 10 97)

 

1) En ce qui concerne les « non-conformistes des années 30 », selon l’expression consacrée, expression que je ne fais pas tout à fait mienne et que Loubet del Bayle ramène à 3 groupes : Jeune Droite, Esprit et Ordre nouveau, on peut dire

 

a) qu’à l’exception de Thierry Maulnier, mais qui ne se rattache qu’assez artificiellement à ce courant, c’est un courant tout à fait imperméable au nietzschéisme presque entièrement ou entièrement formé par Maurras et Maritain, plus loin par Saint-Thomas et l’école catholique sociale. Le mieux est vous interrogiez - aussi de ma part – Jean Fabrègues, 3 rue des Saints-Pères, Paris (7e)

 

b) Mounier était un vrai philosophe mais que pensait-il de Nietzsche ? Je n’en sais rien. Il ne m’en a jamais parlé. Il est vrai que je fréquentais le cercle d’études économiques et sociales d'Esprit et non le cercle d'études philosophiques. Ce dernier était dominé par Berdiaeff, sans jamais lire de Nietzsche. Comme pour la jeune droite, la grande figure d’alors restait pour Mounier, Maritain. Consultez Jean Lacroix qui devrait pouvoir vous éclairer là-dessus.

 

c) Le seul mouvement où l’on relève l’influence de Nietzsche est l’O.N [Ordre Nouveau]. Nietzsche figure dans la bibliographie de La Révolution nécessaire et est cité dans le texte. Je n’ai pas eu le temps de chercher le passage. D’autre part, il figure dans l’essai de bibliographie révolutionnaire du n° 3 de la revue, biblio qui comporte un nombre très limité de titres avec Ainsi parlait Zarathoustra et un texte à lui, tiré de la Généalogie de la morale, est cité dans les notes, texte invoqué pour justifier la théorie de la personne de l’O.N.

 

Il existait d’autres mouvements intéressants. Je vous conseille de voir mon ami Georges Reverdy, qui dirigeait la revue L’Homme nouveau, revue de socialisme réformiste, 21 rue Singer 527 57 38, où Nietzsche a du certainement être invoqué. Il faudrait voir aussi autour du groupe Révolution constructive que fréquentaient des gens comme Lévi-Strauss ou Georges Lefranc.

 

Un nom vient sous ma plume vous devriez prendre contact avec Raymond Aron, même promotion de normale que Mounier qui devrait pouvoir vous éclairer très bien sur la présence intellectuelle de Nietzsche à l’Ecole entre 1925 et 1930.

 

En ce qui concerne Drieu je vais avertir son frère, Jean Drieu, que vous allez vous mettre en rapport avec lui. Là, l’influence de Nietzsche est certaine. Je ne sais si D. avait lu le livre d’Andler. Je ne le crois pas, mais l’on devrait retrouver dans sa bibliothèque conservée pour l’essentiel par son frère les livres de Nietzsche qu’il possédait et probablement annotés par lui. Adresse : 1 Villa Victor Hugo, 553 40 38

 

J’ai lu moi-même, Nietzsche, en 1928 à 19 ans. J’ai reçu cette lecture, comme un immense coup sur la tête ; elle me réveillait du tolstoïsme social dans lequel je m’endormais. Mais j’ai toujours très difficilement concilié ce que l’on doit au « Héros » et ce que l’on doit à l’Humanité entière. D’où l’ambivalence de mes attitudes.

 

Bien à vous

 

P. A.

 

 

633 46 49

 

 

Dans les années 34-35, Nizan disait, je ne sais plus où : « Nous ne voulons pas de la charité de Nietzsche, de Sorel et de Drieu... »