Bibliographie inédite des publications françaises sur Nietzsche 1868-1940 (Laure Verbaere et Donato Longo)

1868-1910: BIBLIOGRAPHIE ET COMMENTAIRES DE LAURE VERBAERE

 

(en savoir plus)

1910


Ouvrages qui évoquent Nietzsche


BOIS Jules, L'Humanité divine: poèmes, Paris, Bibliothèque Charpentier, 1910.

Contient un poème: Le calvaire de Nietzsche (dédié à Henri Albert), p. 193-197.

 

BOURGET Paul, Le disciple, Paris, Nelson, 1910.

Réédition avec une introduction de Teodor de Wyzewa qui raconte, pour les hommes de lettres de sa génération, la double surprise de l'époque (mi 1889): la thèse elle-même et que Paul Bourget en soit l'auteur:

"(...) en échange de la tendre et fidèle admiration littéraire qu'avait trouvée chez nous M. Paul Bourget, entendions-nous qu'il partageât toutes les opinions qui nous étaient chères, et au premier rang desquelles figurait une foi absolue dans la supériorité de l'œuvre d'art sur le reste des choses. La doctrine de ce que nos devanciers avaient appelé « l'art pour l'art » avait eu beau changer de nom, au cours des années : elle continuait à nous apparaître comme la première, l'unique vérité. Sans aller peut-être jusqu'à approuver les joyeux paradoxes d'immoralité que quelques-uns d'entre nous s'amusaient, dès ce temps, à développer sur la scène ou dans le roman, — préludant par là au triomphe prochain de la littérature « rosse » , — nous ne souffrions pas que l'artiste, et en particulier l'homme de lettres, eût jamais à se préoccuper de la portée morale de son œuvre ni de ses conséquences dans la vie pratique. Cette vie pratique, d'ailleurs, nous inspirait unanimement le plus parfait mépris. Nous l'entrevoyions si bas au-dessous de notre horizon accoutumé que l'idée ne nous serait même pas venue d'une influence possible de la « pensée » sur elle : sauf à considérer une telle influence, si d'aventure quelque preuve certaine nous l'avait révélée, comme un simple accident dénué d'importance, et tout à fait indigne de nous émouvoir. Nous estimions que le seul devoir du philosophe et du poète, de l'auteur dramatique et du romancier, était de tâcher à exprimer pleinement ses idées, ses sentiments, les résultats de son observation ou de sa fantaisie, sans se troubler des vaines et stupides alarmes de l'aveugle troupeau des « moralistes » de toute provenance et de tout habit. Ignorant encore, ou du moins ne connaissant que d'une manière assez vague, le défi lancé par l'infortuné Nietzsche à l'antique distinction du bien et du mal, déjà nous étions prêts à lui faire l'accueil qu'avaient reçu de nous, avant lui, les théories «amorales» de Taine et de Renan ou cette captivante doctrine du « culte du moi » qui venait alors de nous être prêchée par M. Barrès avec un mélange délicieux de passion poétique et de détachement. Tout cela nous plaisait surtout parce que nous y découvrions autant de hardis et heureux efforts à élargir l'abime creusé depuis longtemps déjà entre la libre vie de l'esprit, telle que nous nous enorgueillissions d'être admis à la vivre, et les médiocres « contingences » de la vie réelle. (p. 8-9).

Cette génération croyait que Paul Bourget partageait "cette fière indifférence à l'égard d'une réalité bassement « bourgeoise » (...). Or, voici que dans l'été de 1889, précisément au lendemain de sa piquante Physiologie de l'Amour moderne, M. Bourget nous donnait un roman qui, sans l'ombre de réserve, se mettait au service d'une doctrine « morale » , et proclamait ouvertement l'étroite liaison intime de la vie de l'esprit et, de la vie réelle, un roman où le philosophe, l'artiste, étaient solennellement accusés d'exercer une action pernicieuse sur de jeunes cerveaux, un roman où ces êtres que nous supposions d'une race surnaturelle étaient solennellement déclarés responsables de toute mauvaise action commise, — à leur insu, parmi l'obscure foule anonyme s'agitant à leurs pieds, sous l'inspiration de l'une de leurs idées ou de l'un de leurs rêves ! Dans un récit d'une vérité et d'une puissance tragique singulières, laissant bien loin dernière soi tous les Essais de Psychologie et toutes les Cruelles Enigmes, voici que le poète d'Edel attaquait de front l'unique opinion qui nous tînt au coeur : notre vaniteuse conscience d'habiter un monde distinct de celui du « bourgeois », et supérieur

à lui. Impossible d'imaginer notre surprise, ni tout ce que nous y avons mêlé d'irritation sourde, sous l'apparent dédain avec lequel nous affections de railler cet étrange caprice passager du charmant et sceptique analyste des passions mondaines. M. Bourget se fût-il même avisé de nous offrir, au lieu de ce malencontreux Disciple, une grosse farce « naturaliste » du genre de Pot-bouille ou de l'immortel A Vau-l'eau, combien le plus « délicat » d'entre nous aurait eu moins de peine à lui pardonner !

Le fait est que, se produisant à cette date, — qui était aussi, sauf erreur, celle de l'Homme Libre de M. Barrès et de la Thais de M. Anatole France, celle des premières études françaises sur la personne et l'œuvre du créateur de Zarathoustra, — le magnifique roman qu'on va lire a été un phénomène infiniment imprévu et curieux de notre histoire littéraire".

Parle de révolte chez les lecteurs de cette génération, de révolution dans l'oeuvre de Paul Bourget.

Note que vingt ans plus tard, la thèse du Disciple est devenue évidente:

"Est-ce-que nous ne sentons pas que toute notre conception présente de nos devoirs comme de nos droits s'est principalement formée en nous sous l'empire de nos émotions esthétiques ou intellectuelles, et que l'action de celles-ci sur nous a été d'autant plus intense qu'elles nous sont apparues entourées de plus de beauté,—avivées par l'exquise musique d'une strophe de Verlaine ou de Baudelaire, enflammées par l'élan fiévreux de la pensée et du rythme dans un chapitre de Nietzsche, illuminées de l'inoubliable sourire que nous voyions flotter doucement autour des lèvres amères de l'auteur de l'Antechrist et de l'Abbesse de Jouarre?"

La thèse est devenue banale, et c'est grâce au Disciple de Paul Bourget.

   

FAGUET Emile, Le culte de l’incompétence, Paris, Grasset, 1910.

Evoque souvent Nietzsche dans le dernier chapitre "Le rêve"

  

GRASSET Joseph, Idées médicales, Paris, Plon-Nourrit, 1910.

Le docteur Grasset classe Nietzsche parmi les "demi-fous" internés (p. 130).

Niveau d'information mauvais pour 1910 car se base toujours sur l'ouvrage de Max Nordau (Dégénérescence), note: "Frédéric Nietzsche (2), le philosophe qui a fait école en Allemagne et ailleurs, a été interné à plusieurs reprises dans des maisons de santé et est entré ensuite, comme dément incurable, dans l'établissement du professeur Binswanger, à Iéna (3)" (p. 257).

"(2) Max NORDAU, loco cit. - D'après LICHTENBERGER, (Introd. aux Aphor. et Frag. de Friedrich Nietzsche. Paris, 1899), c'est « brusquement, sans transition » que « la nuit de la folie se ferma sur lui. Il fut frappé subitement à Turin, dans les premiers jours de janvier 1889... ». Peut-être un critique médical trouverait-il des prodromes de ce mal dans certaines œuvres antérieures de ce « Prophète du Surhomme » et du « Retour éternel », voire même dans son « œuvre capitale », Ainsi parla Zarathusthra, paru de 1883 à 1886.

(3) The right man in the right place, suivant le dicton anglais, ajoute Nordau".

JAURES Jean, Conférence du citoyen Jean Jaurès au grand théâtre de Nîmes, vendredi 4 février 1910, sténographiée par MM. S. Halbwachs et E. Rozier, Nîmes, Imprimerie Coopérative "L'Ouvrière", 1910.

Evoque Nietzsche (p. 10).

 

LENERU MarieLes Affranchis, Paris, Hachette, 1910.

Avec une préface de Fernand Gregh qui explique: "En ce temps de petites sensibilités faussement exaspérées, Mlle Lenéru-Dauriac nous offre le type d'une admirable intellectuelle, qui a beaucoup lu, beaucoup médité les livres, puis la vie; dont la lucidité va parfois jusqu'à la cruauté, mais qui, d'autre part, comprend assez Nietzsche pour vouloir le réfuter par l'exemple. Elle nous montre une humanité d'exception, sans doute ; mais dans cette atmosphère supérieure à la vie quotidienne, elle recrée des possibilités de conflits humains" (p. XI).

Le texte de la pièce évoque une seule fois la folie des "nietzschéennes".

Ecrite en 1908, pièce en trois actes dédiée à Catulle Mendès, jouée pour la première fois en 1910.

Jouée à la Comédie française en 1927 et publiée dans La Petite Illustration du 19 novembre 1927 (avec des photos)

Reçoit plusieurs prix.

Publié en 2019 avec une présentation de l'autrice et des photographies.

  

MAIGRON Louis,  Le romantisme et les moeurs: essai d'étude historique et sociale, d'après des documents inédits, Paris, Champion, 1910.

Professeur à l'Université de Clermont-Ferrand, Louis Maigron conclut en invitant le lecteur à se demander s'il "y a vraiment grand'chose à conserver de toutes ces rêveries romantiques ; et c'est aussi une question qu'il est légitime de se poser, en terminant : s'ils en connaissaient les ordinaires, les inévitables résultats, quelques-uns de nos plus brillants écrivains mettraient-ils encore tout leur talent à faire revivre et donc à propager d'aussi fallacieuses,

d'aussi décevantes théories?".

Et finit sur cette longue note de bas de page: "Car il est certain qu'il y a une reprise des idées romantiques, singulièrement favorisée d'ailleurs par l'influence de Nietzsche. Et il y aurail une belle étude à écrire sur « le Romantisme et la littérature contemporaine ». Nos jeunes romanciers, et surtout nos jeunes dramaturges, sont aussi audacieux et aussi imprudents que leurs prédécesseurs. Toutes « les vieilles chansons » leur paraissent insuffisantes et leur déplaisent. La bonne vieille morale n'a que leur sourire et leur pitié. Comme le dit excellemment M. Adolphe Brisson : « Ces notions, formées du suc de la morale chrétienne, sont en train de disparaître comme un vol de colombes effarouchées sous le coup de feu du chasseur. Les dramaturges nouveaux ont une autre religion, une autre règle de vie. A la loi du devoir, ils substituent le droit au bonheur. Et ce n'est point de leur part bravade, opposition agressive, dénigrement systématique, taquinerie. Ce qui les étonne le plus, c'est de provoquer l'étonnement. Beaucoup d'entre eux sont des corrupteurs de bonne foi, qui pèchent par inconsciente amoralité. » La conclusion de l'étude pourrait être le dernier mot d'une chronique de M. .Iules Claretie, dans le Temps du 28 juin 1907, qui propose, pour une nouvelle édition du Dictionnaire de l'Académie, cette explication du mot Devoir : «Vocable hors d'usage; il a vieilli »." (p. 494)

 

MATAGRIN Amédée, La psychologie sociale de Gabriel Tarde, Paris, Alcan, 1910.

Matagrin, Amédée (1880?-1964)

Nombreux parallèles avec Nietzsche.

 

OLLION E.Les idées philosophiques morales et pédagogiques de Mme de Staël : thèse pour le doctorat ès lettres de l'Université de Lyon, Mâcon, Imprimerie de Protat frères, 1910.

Note dans la conclusion que Mme de Staël "n'est pas philosophe s'il faut, pour l'être, professer une doctrine dont toutes les parties fortement liées constituent un ensemble cohérent ; mais, à ce prix, Locke ou Berkeley, Jacobi ou Nietzsche le seraient-ils ?" (p. 293)

 

ROUDINE Victor, Max Stirner, Portraits d'hier, n°39, 15 octobre 1910.

Apporte des "preuves" que Nietzsche a lu Max Stirner (p. 93-94).

 

TOLLEMONDE Georges de, Du juste milieu. Traité général de philosophie et d'art, Paris, Librairie Léopold Cerf, 1910.

Exprime sa haute estime pour Nietzsche, son admiration, son approbation... Nombreuses évocations, notamment à la fin de la première partie.

 

WYZEWA Teodor de, "Introduction" de Paul Bourget, Le disciple, réédition, Paris, Nelson, 1910, p. 5-16.

Décrit la révolution que représente la publication du roman, en 1889, et l'influence qu'il a eue.

Voir Paul Bourget.