Bibliographie inédite des publications françaises sur Nietzsche 1868-1940 (Laure Verbaere et Donato Longo)

1868-1910: BIBLIOGRAPHIE ET COMMENTAIRES DE LAURE VERBAERE

 

(en savoir plus)

1895


Articles et comptes rendus sur Nietzsche


BERNARDINI L. , "Les idées de Frédéric Nietzsche", in Revue de Paris, 1, janvier 1895, p. 197-224.

Vision personnelle et nettement romancée de Nietzsche. S'attarde longuement sur les années de la maladie : "De 1878 à 1889, nous le voyons accumuler, au milieu des souffrances physiques les plus cruelles, l'énorme édifice de son œuvre.

Depuis longtemps, il ne pouvait trouver le sommeil qu'à l'aide du chloral, absorbé à doses effrayantes. Est-ce, comme l'ont prétendu ses amis, l'abus de ce dangereux secours ou la tension d'un esprit trop fortement bandé se brisant enfin sous l'effort? On sait la crise terrible qui terrassa Nietzsche à Turin, en janvier 1889, et dont il ne paraît pas pouvoir jamais se relever. Et l'on a conté le petit village, où sa vieille mère, penchée sur lui comme sur un berceau, l'écoute exhaler sa plainte monotone : "Mutter, ich bin dumm!" vague hantise où semble se souvenir confusément de lui-même celui qui rêva de recréer l'humanité et de lui donner une morale nouvelle".

Description physique de Nietzsche : "Nous avons sous les yeux un portrait de Nietzsche. Le front est large, élevé, fuyant ; les sourcils sont fortement barrés sous l'œil impérieux. La moustache, énorme, projette une ombre sur le menton énergique et volontaire. Un type d'homme de plein air et d'action, de forte race, avec un trait de courage physique et d'humeur batailleuse très accentué. Seul le regard, de fixité visionnaire, donne une inquiétude sur l'équilibre final de cette riche nature. De même quelques signes, à peine indiqués sur cette physionomie régulière, noble et dure, trahissent pourtant une sensibilité artistique intense, une impressionnabilité trop aiguë, sous laquelle tout peut crouler" (note infrapaginale, p. 199).

Admettant le dualité de l'œuvre de Nietzsche, conclut son long examen des idées de Nietzsche sans se résoudre à trancher : "Complexe, batailleuse, excessive, de "fer" et de "feu", suivant l'antique formule - de feu pour détruire, de fer pour édifier, - elle garde, jusqu'en ses dionysiaques fureurs, quelque chose de la sérénité divine de ceux dont les rêves ont approché les dieux. On peut la juger d'après ces paroles de Nietzsche lui-même : "Il y a des livres qui ont une valeur inverse pour l'âme et la santé de ceux qui s'en servent, suivant que la vitalité de leur âme est inférieure et débile, ou qu'elle est supérieure et puissante : dans le premier cas, l'influence de ces livres est dangereuse : ils attaquent, ils entament, ils dissolvent ; dans le second, elle est celle d'un appel aux armes, invitant les plus braves à faire entrer en lice leur propre intrépidité" " (p. 224).

 

REBELL Hugues, "Sur une traduction collective des œuvres de Nietzsche", in Mercure de France, tome 13, n˚61, janvier 1895, p. 98-102.

 

TAVERNIER Eugène, "Antichrist", in L'Univers, 1er janvier 1895, p. 1.

Compte-rendu de Nietzsche, Der Antichrist. Critique longuement cette "parole de haine et de malédiction".

 

Anonyme, "Philosophes allemands", {Variétés}, in La Liberté, 7 janvier 1895, p. 3.

Sur Nietzsche. Introduit ainsi: "Frédéric Nietzsche est, à l'heure actuelle, le philosophe qui dispose de la plus grande autorité et de la plus singulière influence auprès des jeunes générations. Depuis plusieurs années, les revues du quartier Latin, celles qui ont la primeur des talents, abondantes en nouveautés et en recherches

ingénieuses, ont publié des fragments des œuvres de Nietzsche et notamment de Ainsi parla Zarathustra. Il est encore la nourriture d un cercle restreint, d'autant plus fervent; mais pourtant la « notoriété » commence à naître pour lui, et voici que dans la Revue de Paris, L. Bernardini, l'auteur d'intéressantes études sur Ibsen, Bjœrnson, Strindberg et les autres littérateurs scandinaves, présente Nietzsche à un plus large public."

 

ALBERT Henri, {Journaux et revues}, in Mercure de France, tome 13, n˚62, février 1895, p. 248-253.

Compte-rendu de L. Bernardini, "Les idées de Frédéric Nietzsche". Note brièvement : "D'intéressants aperçus pour renseigner les reporters, mais point de critique. Des détails biographiques très insuffisants - l'auteur parle de Naumbourg, ville de 25.000 habitants, comme d'un "petit village", et répète l'absurde racontar de journaliste sur le "Mutter, ich bin so dumm" (...)" (p. 253).

 

Anonyme, "La pitié chrétienne selon Frédéric Nietzsche", in La Cocarde, 2 février 1895, p. 2.

 

CHOUAN Pierre, « Un philosophe aristocrate », in Le Gaulois, n°5446, 24 février 1895, p. 1-2.

 

GUINAUDEAU B., "Le divin décadent", in La Justice, 26 février 1895, p. 1.

A propos de L'Antechrist de Nietzsche.

"Les doctrines de Nietzche (sic), on ne l'ignore pas, sont fort à la mode. Dans certains milieux où l'on fait spécialement profession de guider le vulgaire troupeau des hommes vers les chemins intellectuels qu'il est de bon ton de fréquenter. le nietzchisme a succédé au schopenhauérisme, qui fut si bien porté, pendant dix ans.
Snobisme à part, que nous enseigne le nouveau docteur?"

 

HEROLD André-Ferdinand, {Journaux et revues}, in Mercure de France, tome 13, n˚63, mars 1895, p. 370-373.

Compte-rendu de Nietzsche, L'Antechrist traduit par Henri Albert et publié par la Société nouvelle (p. 371).

 

ALBERT Henri, {Journaux et revues}, in Mercure de France, tome 14, n˚64, avril 1895, p. 116-125.

Signale le compte-rendu de Nietzsche, L'antéchrist, par Hermann Bahr dans Die Zeit (p. 121-122). [2]

 

ALBERT Henri, {Journaux et revues}, in Mercure de France, tome 14, n˚ 64, avril 1895, p. 116-125.

Compte-rendu de "Nietzsches Genesung" de Maurice Brasch dans Die Zeit (p. 122). [3]

 

ALBERT Henri, {Journaux et revues}, in Mercure de France, tome 14, n˚64, avril 1895, p. 116-125.

Compte-rendu de l'étude de Fritz Kögel sur Nietzsche in seinen Werken de Lou Andréas-Salomé (p. 122). [4]

 

Anonyme, « La folie de Nietzsche », {Au jour le jour}, in Journal des Débats, 25 avril 1895, p. 1.

"Tandis que Frédéric Nietzsche, frappé de paralysie cérébrale, stupide, et balbutiant comme un petit enfant, achève depuis six ans de mourir dans un village d'Allemagne, l'influence de sa pensée et la gloire de son nom ne cessent de grandir. De l'autre côté du Rhin surgissent d'innombrables volumes, un par semaine environ, qu'emplit l'exégèse de son œuvre violente et profonde. Et peut-être quelque jour des chaires seront-elles créées, où l'on expliquera publiquement Nietzsche, ainsi qu'à Florence on expliquait Dante."

 

BOZ Pierre, "Le Mystère de Friedrich Nietzsche, par Wilhelm Bölsche", {Revue de la presse étrangère}, in Revue Socialiste, tome 21, n˚126, juin 1895, p. 726-727.

"L'auteur avoue et proclame même que Nietzsche fut un jongleur, c'est-à-dire avant tout un artiste, comme Hegel d'ailleurs et comme Schopenhauer, ce qui n'est pas une trop mauvaise compagnie. Mais il y a différentes façons de jongler. On peut jongler avec des bulles de savon, ce qui n'est pas déjà si facile ; avec des boules de billard, ce qui offre encore quelques difficultés : on peut aussi jongler avec de solides et sérieuses boules de métal précieux et pur, de ce métal plus indestructible que l'airain, si l'on en croit Horace, qui s'appelle la profonde science historique. C'est ce que firent Carlyle, Michelet, et c'est ce qu'a fait Nietzsche, d'après l'auteur". [6]

 

MASSON Paul, "Also sprach Yoghi", in L'Ermitage, 10, juin 1895, p. 348-350.

Parodie d'Also sprach Zarathustra sous la forme d'une suite d'aphorismes.

 

Anonyme, {Echos divers et communications}, in Mercure de France, tome 15, n˚67, juillet 1895, p. 125-128.

Le nom de Nietzsche apparaît dans le sommaire détaillé du Supplément français de PAN (p. 128).

 

SCHURE Edouard, "L'individualisme et l'anarchie en littérature : Frédéric Nietzsche et sa philosophie", in Revue des Deux Mondes, 130, 15 août 1895, p. 775-805. [7].

Raconte qu'à partir de l'été 1876, "la maladie de l'orgueil qui couvait en lui se développa en proportions gigantesques pour le conduire à un athéisme féroce et jusqu'au suicide intellectuel" (p. 777).

Offre une description détaillée : "En causant avec lui, je fus frappé de la supériorité de son esprit et de l'étrangeté de sa physionomie. Front large, cheveux courts repoussés en brosse, pommettes saillante du Slave. La forte moustache pendante, la coupe hardie du visage lui auraient donné l'air d'un officier de cavalerie, sans un je ne sais quoi de timide et hautain à la fois dans l'abord. La voix musicale, le parler lent, dénotaient son organisation d'artiste ; la démarche prudente et méditative était d'un philosophe. Rien de plus trompeur que le calme apparent de son expression. L'œil fixe trahissait le travail douloureux de la pensée. C'était à la fois l'œil d'un observateur aigu et d'un visionnaire fanatique. Ce double caractère lui donnait quelque chose d'inquiet et d'inquiétant, d'autant plus qu'il semblait toujours rivé sur un point unique. Dans les momens d'effusion, ce regard s'humectait d'une douceur de rêve, mais bientôt il redevenait hostile. Toute la manière d'être de Nietzsche avait cet air distant, ce dédain discret et voilé qui caractérise souvent les aristocrates de la pensée. Mme Salomé, qui juge l'homme avec une singulière pénétration, dit : "Ses yeux semblaient les gardiens de trésors muets. Leur regard était tourné au dedans ; ils reflétaient ses impressions intérieures ; regard toujours tourné au loin vers les régions inexplorées de l'âme humaine. Dans une conversation animée, ces yeux pouvaient avoir des éclairs saisissans, mais dans ses heures sombres, la solitude parlait à travers eux avec une expression lugubre, menaçante et comme de profondeurs inconnues".

Raconte encore : "Pendant les répétitions générales et les trois premières représentations de la tétralogie, Nietzsche parut triste et affaissé. Il souffrait déjà du commencement de ce mal cérébral qui devait l'accabler plus tard, mais il souffrait déjà d'une mélancolie profonde et inexprimée" (p. 782-783).

Adresse quelques compliments mais précise clairement : "Au cours de cette étude j'ai fait ressortir les extraordinaires qualités de Nietzsche, afin que l'on mesure la profondeur de sa chute à la hauteur de son esprit" (p. 805).

Lance : "C'est n'est pas impunément qu'on jette l'anathème aux maîtres auxquels on doit son initiation, et ce n'est pas impunément qu'on maudit ses dieux" avant de conclure sur un ton dramatique : "S'ils ne reculent pas devant ses conclusions, qu'ils apprennent du moins par son exemple où peuvent mener certaines pratiques intellectuelles" (p. 805).

 

Anonyme, "Un drame d'orgueil intellectuel (Nietzsche et sa philosophie)", in Revue des revues, vol. XIV, 1er septembre 1895, p. 436-444.

Compte-rendu de l'article de Schuré publié dans la Revue des Deux Mondes. Constate le succès de Nietzsche en France : "L'enthousiasme des uns joint à la violence des autres forment une sorte de toit pour cette philosophie de l'orgueil et du désespoir, qui paraissait n'en avoir aucun. (...) cet amalgame du lyrisme pessimiste est appelé à jouer un grand rôle dans l'évolution de la génération future, qui y cherche une philosophie. (...) Ce qui nous confirme dans cette idée, ce sont les combats qu'on mène contre Nietzsche en prévision de l'influence qu'il ne manquera pas d'exercer" (p. 436). Propose un résumé de la vie et des œuvres de Nietzsche d'après l'étude de Schuré (p. 437-444).

 

Anonyme, {Journaux et revues}, in Gil Blas, 4 septembre 1895, p. 3.

Compte-rendu d'Edouard Schuré, "L'individualisme en littérature: Frédéric Nietzsche et sa philosophie" publié dans la Revue des Deux Mondes.

 

Anonyme, {Le Mois}, in La Société nouvelle, octobre 1895, p. 555-556.

Compte-rendu de l'article d'Edouard Schuré publié dans la Revue des Deux Mondes (p. 555).

 

Anonyme, "Revue des Deux Mondes (15 août). - Nietzsche et sa philosophie, par E. Schuré", {Revue des revues}, in Revue universitaire, tome II, n˚8, 15 octobre 1895, p. 253-254.

Commence par remarquer que "l'individualisme, loin d'abdiquer devant le socialisme, a grandi en proportion. Nietzsche est l'incarnation de l'individualisme, et, à ce titre, il est la contradiction vivante de Tolstoï" (p. 253-254). Reprend l'idée défendue par Schuré : "Il a poursuivi la vérité par des sentiers escarpés et dangereux. (...) A cette gageure, il mit sa vie en jeu et y laissa sa raison. Son cas peut donc nous inspirer cette admiration mêlée de pitié qu'on a pour les grandes infortunes" (p. 254). Expose brièvement les grande ligne de Ainsi parlait Zarathoustra avant de conclure : "Quant au style de l'ouvrage, nous dit M. Schuré, jamais style plus beau ne fut mis au service d'idées plus meurtrières. Une prose ample et rythmée, une langue bâtie à grands blocs, comme les murs cyclopéens, en vocables de granit, puissamment allitérés..." (p. 254).

 

Anonyme, {Au jour le jour}, in Journal des Débats, 19 novembre 1895, p. 1.

Sur la sœur de Nietzsche.

 

WYZEWA Teodor de, "Les écrits posthumes d'un vivant", in Le Temps, 7 décembre 1895, p. 2.

Compte-rendu de Nietzsche, Schriften und Entwürfe.

Description de l'état de Nietzsche. Il "pousse des petits cris inarticulés en avalant la pâtée qu'on lui introduit dans la bouche". Plus loin : "Rien d'humain ne subsiste plus chez le théoricien du super-homme : c'est une âme et un corps en décomposition".

 

PONTARME (?), "Le philosophe de l'orgueil", in Le Petit parisien, 11 décembre 1895.

 

ANDLER Charles, "R. Steiner. Nietzsche, ein Kämpfer gegen seine Zeit", in Revue Critique d'Histoire et de Littérature, tome XL, 23 décembre 1895, p. 490. [10]

Compte-rendu sévère : "M. Steiner, écrivain élégant et amateur de fantaisies métaphysiques, se compromet ici, comme jadis sur Goethe, dans une histoire littéraire qui n'est pas son fait. L'œuvre indispensable d'exposer Nietzsche populairement reste à tenter. Le chapitre consacré à décrire l'idéal nietzschéen, l'Uebermensch", l'individu surhumain, est sans doute le meilleur. Le chapitre de tête sur le caractère de Nietzsche est peu documenté et peu dans le sujet.

Le Nietzsche-Archiv de Naumburg a été à la disposition de M. Steiner. On ne voit pas ce qu'il en a tiré. Dans le chapitre final sur l'évolution de Nietzsche, M. Steiner se borne à nous dire que son auteur a ignoré Stirner et qu'il a été le disciple de Schopenhauer jusqu'en 1878. Cela est insuffisant et Nietzsche a lui-même décrit tout autrement sa généalogie intellectuelle. Il faut relire cette "Hadesfahrt" où il évoque les ombres des aïeux : "Ce furent quatre couples qui ne se refusèrent pas à moi, tandis que je sacrifiais : Epicure et Montaigne, Goethe et Spinoza, Platon et Rousseau, Pascal et Schopenhauer" (Menschliches Allzumenschliches, 2e éd. 1894, p. 179).

Et voilà ses maîtres."