Bibliographie inédite des publications françaises sur Nietzsche 1868-1940 (Laure Verbaere et Donato Longo)
1868-1910: BIBLIOGRAPHIE ET COMMENTAIRES DE LAURE VERBAERE
SEGOND J., « Quelques publications récentes sur la morale », {Revue générale}, in Revue philosophique de la France et de l'étranger, tome 63, n˚1, janvier 1907, p. 81-99.
Dans son analyse du livre d'Alfred Fouillée, Les éléments sociologiques de la morale (p. 93-99), souligne que, selon l'auteur, la morale de la vie n'est pas un immoralisme car, « en dépit de Nietzsche, elle sanctionne les vertus morales. » (p. 95) Précise que l'auteur, tenant compte des biologistes et des nietzschéens qui font de la vie le règne de la force, étudie la moralité des animaux et qu'il conclut : « La morale des pseudo-darwinistes et des nietzschéens n'est même pas vraie des bêtes, et on voudrait en faire la règle des hommes. » (p. 96)
Cf. Alfred Fouillée, Les éléments sociologiques de la morale, Paris, Alcan, 1905.
DUMONT-WILDEN Louis, « Maurice Barrès et l'esprit européen », in Revue bleue, tome VII, n˚3, 19 janvier 1907, p. 76-81.
Constate : « De certaines raisons, parmi lesquelles il ne faut pas oublier une sorte de rudesse barbare qui parut réconfortante à certaines lassitudes, ont fait qu'un Nietzsche fut goûté de tout le public européen dès que la traduction d'Henry Albert l'eut fait connaître. » (p. 76)
Compare, au niveau européen et au niveau français, l'influence de Maurice Barrès et celle de Nietzsche « qui est aujourd'hui le grand maître de l' « Elite » cosmopolite. » (p. 77) Se référant aux œuvres des deux hommes, explique comment elles ont contribué à sauver la « culture française. »
BALLOT Marcel, « Consolata, fille du soleil par Henry Daguerches », {La Vie littéraire}, in Le Figaro, n°21, 21 janvier 1907, p. 4.
Note que la philosophie de l'auteur, comme celle de Pierre Loti, "se résume très
nettement en cette épigraphe que le nouveau venu a empruntée à Zarathoustra: « L'homme doit être élevé pour la guerre, la femme pour le délassement du guerrier; et tout le reste est folie.
»
A un nietzsçhéisme légèrement attardé, qui croit avoir fait table rase de toutes conventions et de tous préjugés, il se trouve
allier ainsi un très respectable idéal d'honneur militaire et de patriotique orgueil, un bel enthousiasme de héros et cela n'a, au fond, rien de contradictoire."
DAURIAC Lionel, « A. Chide. - L'idée de rythme », {I. Philosophie générale}, in Revue philosophique de la France et de l'étranger, tome 63, n˚2, février 1907, p. 206-209.
Signale qu'Alphone Chide « annonce le crépuscule du rationalisme, renouvelé du « Crépuscule des idoles » de Nietzsche et de son antisocratisme outrancier! » (p. 208) Se demande si Chide a lu Jules de Gaultier, De Kant à Nietzsche, mais constate que, « dans l'affirmative, ce serait son vrai maître. » (note 1, p. 208) Ajoute encore qu'il considère que l'ouvrage de Chide « est un signe des temps. Je ne sais pas d'ouvrage d'une actualité plus criante si ce n'est Il Crepuscolo degli Philosophi de Giovanni Papini, le bouillant « pragmatiste » italien, féru, tout comme M. Chide, de Nietzschéisme et d'Autothéisme. » (p. 208) Termine en signalant que la Revue de métaphysique et de morale a récemment consacré un article élogieux à l'idée de rythme et réclamé pour M. Chide une place d'honneur « parmi les jeunes philosophes animés de l'esprit nouveau. » (p. 209) Conclut à ce sujet : « Or, je me demande si une philosophie mélangée de barrésisme et de nietzschéisme, additionnée d'une forte dose de bergsonisme plus ou moins habilement « sollicité », a droit au nom de philosophie. » (p. 209)
Cf. A. Chide, L'idée de rythme, Digne, imprimerie Chaspoul, 1905.
FAGUET Emile, « M. Léon Blum », in Revue latine, n˚2, 25 février 1907, p. 65-78.
Compte-rendu de Léon Blum, En lisant, réflexions critiques. A propos des idées et des passions de Blum : « M. Léon Blum a horreur du christianisme ; il a horreur, par suite, d'une certaine morale traditionnelle qu'il ne définit guère, mais qui me semble être tout simplement la morale : il est nietzschéen. » (p. 66) Discute les idées de Léon Blum sur Paul Adam, Le Serpent noir, en refusant de concéder que Guichardot incarne l'homme fort de Nietzsche (p. 66-70). Conteste le soi-disant internationalisme de Nietzsche et considère que Nietzsche n'est au fond qu'une réaction contre Kant : « Or rien n'est plus allemand que le kantisme et aussi l'antikantisme, puisque kantisme et antikantisme, c'est toujours l'influence de Kant. Personne ne me paraît plus Allemand que Nietzsche. » (p. 74)
Anonyme, « La Philosophie de l'Impérialisme. III. L'impérialisme démocratique, par Ernest Seillière », in Revue de métaphysique et de morale, tome XV, n˚2, supplément de mars 1907, p. 4-5.
Compte-rendu très critique : l'utilisation des idées de Nietzsche est soulignée et critiquée (p. 4).
Anonyme, {Carnet de Paris}, in Nouvelle Revue, tome XLV, mars-avril 1907, p. 276-279.
Compte-rendu de Valentine de Saint-Point, Un inceste. Note: "Madame de Saint-Point, écrit le rêve très esthétique d'un fils qui serait très beau au physique comme au moral, et qu'elle aimerait jusqu'à l'âge de dix-sept ans d'un cœur tout à fait maternel. Ensuite. pour ne pas perdre cette beauté qu'elle a créée, pour lui éviter les souffrances et les souillures des amours vulgaires, elle le prendrait dans ses bras d'amante pour lui donner les joies de l'amour le plus pur. Ainsi serait repétri le couple idéal, le « surcouple » comme le qualifie de la façon la plus heureuse Madame de Saint-Point. Le « surcouple » sera le couple de l'avenir réunissant en un androgynat sublime le surhomme et la surfemme. Déjà Alfred Jarry nous avait fait pressentir ce couple en esquissant l'anatomie du surmâle. Mais Alfred Jarry n'est pas un poète son cœur ne vibre pas aux accents mystérieux des hymnes de beauté. Son surmâle restait, malgré ses prouesses, un personnage assez banal. Il se nourrissait de suroeufs et de surboeufs et cette suralimentation en faisait un suramant surprenant. Tandis que le Siegfried de Madame de Saint-Point, revêtu des somptuosités d'un style prestigieux, apparait comme le véritable héros d'une aube nouvelle." (p. 278)
JANKELEVITCH Dr. S., « Dr. E. Houzé. - L'Aryen et
l'anthroposociologie », {Philosophie scientifique}, in Revue philosophique de la France et de l'étranger, tome 63, n˚3, mars 1907, p. 313-315.
Commence par résumer les dogmes essentiels de l'école anthroposociologique : « D'après cette école, les véritables fondateurs de la civilisation européenne auraient été les « Aryens », des populations dites indo-européennes ou indo-germaniques, parlant une ou des langues directement dérivées du sanscrit, ayant un crâne nettement dolichocéphale couvert d'une abondante chevelure blonde, de véritables « bêtes blondes », selon l'expression de Nietzsche, des hommes nés pour commander, dominer, gouverner. » (p. 313-314)
Cf. Dr. E. Houzé, L'Aryen et l'anthroposociologie, Bruxelles, Misch, Thron, éditeurs, 1906.
PAUL Georges, "Le système politique d'Auguste Comte (de Montesquiou)", {Les livres}, in Les Cahiers de l'Université Populaire, t. 2, n°15, 10 mars 1907, p. 717-719.
Note: "Qu'il nous soit permis cependant de rester quelque peu perplexe en voyant Auguste Comte et Nietzsche, réunis pour la même
œuvre de réaction sociale, sous l'étendard néo-monarchiste.
Avec Nietzsche, ou plutôt son disciple monarchique M. Valois, nous avons vu que la société monarchique est le régime par excellence des forts, un régime individualiste, favorisant la complète expansion de l'individu
intelligent, de l'aristocrate, apte à faire son chemin." (p. 718)
SEILLIERE Ernest, « De la signification du mot « impérialisme » en philosophie morale », in Revue bleue, tome VII, n˚11, 16 mars 1907, p. 341-345.
Extrait de Seillière, Philosophie de l'impérialisme. III L'Impérialisme démocratique. Analyse l'impérialisme dans l’œuvre de Nietzsche (p. 342-345).
VONTADE Jacques, « Les pierres du chemin », in Figaro, n°18, 4 mai 1907, p. 1-2.
Roman feuilleton publié dans le Figaro en 1906 et 1907. Au cours d'un dîner:
« La conversation marche. Un ironiste professionnel vient de dire:
- Nietzsche affirme positivement que « la femme n'aurait pas le génie de la parure si elle n'avait pas l'instinct du second rôle ».
Une charmante indignation générale règne aussitôt. Je me tourne vers ma voisine et je demande:
- Que pensez-vous, madame, d'une telle insolence ?
Elle assure son pince-nez, - comme s'il en avait besoin! - et d'une voix pleine et chaude qu'on s'étonne de trouver chez une personne aussi desséchée:
- Nietzsche a bien raison, répond-elle. Les femmes sont des sottes. Elles méritent tous ses reproches. Vous souvenez-vous du passage où il dit que la preuve
indiscutable de leur infériorité, c'est qu'ayant eu de tout temps la direction de la cuisine, elles ne soient pas parvenues à dominer le monde. Je ne garantis pas le texte, mais quant au sens,
j'en suis sûre.
Elle prend le menu piqué devant elle dans un petit ustensile d'argent, le lit d'un coup d’œil et le jette sur la nappe avec un geste assez dédaigneux. Cette dame maigre commence à m'intéresser.
Elle est aussi inexplicable que son mari, mais elle a l'air moins bête, beaucoup moins. » (p. 1)
GAULTIER Paul, « L'individu dans la société », in Revue bleue, tome VII, n˚21, 25 mai 1907, p. 660-664.
S'interroge sur les rapports entre l'individu et la société et commence en remarquant : « L'individualisme passe un mauvais quart d'heure. Par réaction contre les revendications exacerbées des Stirner et des Nietzsche, des Ibsen et des Renan, les attaques partent de tous côtés contre lui. » (p. 660)
Né en 1872, Paul Gaultier commence par enseigner la philosophie au collège Stanislas et publie quelques ouvrages de psychologie expérimentale. Il devient directeur de la Revue bleue et de la France nouvelle et collabore à divers périodiques dont le journal Le Temps.
BALDENSPERGER F., « Pierre Lasserre. Le romantisme français », in Revue critique d’histoire et de littérature, t. 63, janvier-juin 1907, p. 456-458.
Compte-rendu du livre de Pierre Lasserre.
DUMUR Louis, "Les détracteurs de Jean-Jacques Rousseau", in Mercure de France, 15 juin 1907, t. 67, n°240, p. 577-600.
A propos des "vrais Français" qui s'en prennent aux livres:
"Voyons-les. Nous négligeons Coppée, le capucin de la bande, dont l’ardeur qui s’éteint se borne maintenant à prier le cœur de Christ « qui aime les Francs ». Mais voici Lemaître, voici Faguet, voici Barrés. Voici la phalange bardée d’arguments de l'Action française, qui décide la méthode de combat et combine les plans d’attaque : voici Maurras, le paladin du duc d’Orléans, Soury, le clérical athée ; voici Lasserre, champion de l’Université, le tranchant Dimier, Montesquiou, Bainville, Corpechot; voici Vaugeois, qui a revêtu l'armure de Jeanne d’Arc et caracole devant Orléans... Ayant déclaré la guerre au XIXe siècle, ils y cherchent cependant des alliés. Bonald et Maistre sont leurs hommes. Mais ils ne leur suffisent pas. Il leur faut des figures plus impressionnantes. Ils se sont annexé le pessimisme historique de Taine et le systématisme synthétique d’Auguste Comte. Passant les frontières, malgré leur exclusivisme français et catholique,ils vont relancer Carlyle, ils se réclament volontiers de Goethe et, par un audacieux tour de passe-passe, sur lequel il serait bon de s’expliquer un jour avec eux, ils ont accaparé Nietzsche" (p. 578).
Cet article suivi d'une protestation de Jacques Bainville dans la Gazette de France; cf. "On défend Jean-Jacques Rousseau!", in Gazette de France, 17 juin 1907, p. 1-2.
LALOY Louis, « Musiques étrangères », in Revue de Paris, tome 3, 15 juin 1907, p. 755-781.
Evoque Carmen de Bizet que Nietzsche opposa à Wagner (p. 756).
BAINVILLE Jacques, "On défend Jean-Jacques Rousseau!", in Gazette de France, 17 juin 1907, p. 1-2.
Proteste contre un article de Louis Dumur, "Les détracteurs de Jean-Jacques Rousseau", in Mercure de France, 15 juin 1907, t. 67, n°240, p. 577-600.
"M. Louis Dumur reproche à l'Action française de condamner en bloc les illustrations du dix-neuvième siècle ; l'Action française pourrait prendre, selon lui, comme enseigne : Ici on assassine les grands hommes.. Michelet, Quinet, Hugo, Chateaubriand : nous les tuons tous, c’est un véritable pogrom. Seulement quelques lignes plus loin, M. Dumur nous reproche de nous « annexer » Auguste Comte et Taine, Carlyle et Gœthe. Il faudrait cependant s’entendre. Sommes-nous annexionnistes ou sommes-nous proscripteurs ? M. Dumur est prié de choisir. En attendant nous lui ferons observer qu’il nous attribue des idées de conquête qui nous sont bien étrangères. Nous n’avons jamais nommé Nietzsche un de nos maîtres. Nous nous sommes plusieurs fois expliqués sur Nietzsche. M. Louis Dumur a tort de réclamer un débat spécial sur ce nom. Et s’il avait entendu jeudi soir M. de Roux il aurait su que nous ne voulons pas plus du Nietzsche que, selon lui, nous aurions accaparé, que nous n’avons voulu du Gobineau que M. Robert Dreyfus avait prétendu nous imposer autrefois pour précurseur et pour patron." (p. 1)
TISSOT Ernest, « Plus que l'Amour, de Gabriel d'Annunzio », {Théâtre italien}, in Revue bleue, tome VII, n˚25, 22 juin 1907, p. 796-799.
S'interroge sur le problème posé par d'Annunzio dans les deux premiers actes : « (...) ce n'est pas, comme on l'a dit, la réhabilitation du crime commis par le surhomme, mais -d'après les explications de l'auteur - la nécessité du crime pesant sur quiconque prétend s'élever au-dessus des autres. » (p. 797) Conclut pour sa part que la nécessité du crime est illusoire : « Bien loin de céder à la tentation, celui qui vise à la surhumanité devra la repousser au contraire avec la dernière énergie, comme le plus néfaste à l'avenir de son intelligence que tous les obstacles de la carrière et de la destinée. » (p. 798)
GAULTIER Paul, « Vrai et faux individualisme », in Revue bleue, tome VII, n˚26, 29 juin 1907, p. 819-823.
Défend l'idée d'un vrai individualisme qui n'est pas « néfaste aux sociétés » mais qu'il ne faut pas confondre avec « l'égoïsme » ou avec « le particularisme révolutionnaire ou anarchique » : « Les Néron, les Caligula, les Borgia et les Malatesta ne constituent pas des types supérieurs d'humanité, ainsi que Nietzsche se plaisait à dire, mais des monstres. » (p. 819-822) Conclut que les « soit-disant individualistes » sont en réalité des despotes : « Rien de plus tyrannique, en ce sens, que le révélateur de Zarathoustra. Ne rêvait-il pas d'une sorte d'aristocratie de « surhommes » qui aurait dominé la foule? » (p. 823)
Anonyme, "Sujets de devoirs", in Revue des cours et conférences, tome 15, mars-juillet 1907, p. 815.
Sujet: "Pédagogie: la conception de l'individualisme dans Nietzsche".
GOURMONT Remy de, « Les Lettres françaises et la concurrence des morts », {Epilogues}, in Mercure de France, tome 68, n˚241, 1er juillet 1907, p. 115-119.
A propos de l'article 3 d'un projet de loi qui vise à taxer les traductions, Gourmont raconte dans quelles conditions s'est négocié l'achat des droits de traduction des œuvres de Nietzsche et remarque que si une telle loi avait existé, le Mercure de France aurait renoncé à publier du Nietzsche.
Anonyme, « Philosophes contemporains, par Harald Höffding », in Revue de métaphysique et de morale, tome XV, n˚5, supplément de septembre 1907, p. 17-18.
Détaille les différents systèmes et philosophes étudiés par l'auteur. Remarque que l'ouvrage se termine par un exposé de la « philosophie des valeurs » dans lequel l'auteur, après M. Fouillée, relève les analogies des doctrines de Guyau et Nietzsche, et aussi des deux tempéraments (p. 18).
Anonyme, « Sulle tracce della vita, saggi, par Leo G. Sera », in Revue de métaphysique et de morale, tome XV, n˚5, supplément de septembre 1907, p. 22-23.
Commence : « On reconnaît, au titre, un adepte de la philosophie à la mode. Mais cette philosophie elle-même, nous la voyons tantôt viser à l'édification, tantôt viser au scandale. Chez M. Sera, elle vise au scandale.
M. Sera, en Nietzschéen véritable, n'expose pas sa pensée sous une forme systématique ; il procède sinon par aphorismes, du moins par essais détachés. » (p. 22) Résume brièvement avant de conclure : « Bref, la philosophie de Nietzsche, interprétée par un Napolitain - que dis-je? par un Napolitain : c'est « par un Nègre » qu'il faudrait dire. Beaucoup de verve, beaucoup d'amphigouri aussi, beaucoup de jeunesse, beaucoup d'ignorance. »
Anonyme, {Les livres}, in Nouvelle Revue, tome 48, 1er septembre 1907, p. 144.
Compte-rendu de Marcel Roland, Le presqu’homme, Bibliothèque générale d’édition, 1907. Evoque le « surhomme » inventé par Nietzsche (p. 144).
FONTAINE Abbé J., "Le moralisme philosophique et la déchristianisation", in Revue catholique des institutions et du droit, septembre 1907, p. 219-238.
Etudie la morale de Guyau et déplore: "Ainsi la morale, sans obligation ni sanction, aboutit au triomphe, à la déification de la force ; elle rejoint celle de Nietzsche ; toutes les deux contribuent à créer le surhomme, la belle bête humaine, fière et forte, orgueilleuse et féroce, rugissant de joie en dépeçant ses victimes, perdue dans la pleine et enivrante satisfaction de toutes ses passions et de toutes ses convoitises, en dehors de tout frein moral et religieux" (p. 227).
LESTRA Antoine, « L'Homme qui vient », in Revue catholique des institutions et du droit, septembre 1907, p. 285-287.
Compte-rendu de Georges Valois, L'Homme qui vient. Philosophie de l'autorité.
Note les affinités et les différences avec Nietzsche.
MICHAUD Régis, « Bernard Shaw », in Revue de Paris, tome 5, 1er septembre 1907, p. 165-181.
Note que Bernard Shaw a lu Nietzsche (p. 167). Il a composé Hommes et surhommes, à propos des relations avec les femmes (p. 174).
TRUC Gonzague, « Les conséquences morales de l'effort », in Revue philosophique de la France et de l'étranger, tome 64, n˚9, septembre 1907, p. 225-247.
Constate que pour avoir méconnu, ou pour n'avoir tenu aucun compte de l'effort, les grands théoriciens de la morale sont devenus une proie facile pour leurs successeurs : ainsi Schopenhauer par rapport à Kant puis Nietzsche par rapport à Schopenhauer. Ajoute : « Il ne s'agissait pas d'immoler à Nietzsche tous ses devanciers, et il ne serait que trop facile de montrer l'importance et la grandeur des contingences que méprise l'illustre philosophe. Mais on peut remarquer qu'il renoue une tradition à laquelle il appartient par un point, bien qu'il le combatte avec âpreté, en instaurant à la base et au faite de sa doctrine, l'effort. » (p. 239) Précise que « l'effort, s'il est susceptible d'engendrer comme conséquence le plaisir, est douleur, et il y a unanimité chez les philosophes à noter la valeur morale de la douleur » (p. 244) ; cite Emerson et Nietzsche : « Les sanctions, les rites cruels, dit Nietzsche : « tout cela a son origine dans cet instinct qui a su deviner dans la douleur l'adjuvant le plus puissant de la mnémotechnie ». » (p. 244)
KAHN Gustave, « Femmes russes », in Gil Blas, n°10189, 15 septembre 1907, p. 1.
« Faut-il plaindre le comte Kamarowsky ? Evidemment, on le plaindra! Trop, peut-être. Une femme fatale n'est pas toujours sans mérites.
L'aventurière cosmopolite actuelle, c'est la forme neuve et moderne de la fille de marbre, de la femme fatale, de la lionne. Elle est Nietzsohienne et féline. Elle est surfemme et quasi surhomme. Elle ne lit pas Nietzsche, et le lire lui serait fort inutile. Elle est arrivée par le simple instinct, dès qu'elle a pu comparer la poupée et
le petit garçon, à penser qu'il y a dans le monde deux sortes d'êtres, soit, comme disait Rops, et après lui Pierre Louys, les femmes et les pantins. »
Le comte Kamarowsky a été tué par Nicolas Naoumoff hypnotisé par la comtesse Marie Tarnowska.
GAULTIER Paul, « La nécessité de l'individualisme », in Revue bleue, tome VIII, n˚13, 28 septembre 1907, p. 403-407.
Défend l'idée d'un vrai individualisme qui n'est pas « ce que les Stirner et les Nietzsche, les Renan et les Ibsen ont tenté d'accréditer sous ce vocable. » (p. 407)
GAULTIER Jules de, « La dépendance de la morale et l'indépendance des mœurs », in Revue philosophique de la France et de l'étranger, tome 64, n˚10, octobre 1907, p. 337-364.
Exposé inspiré de la pensée de Nietzsche et qui contient des références explicites. Définit la morale en tant que phénomène social, un « instinct du troupeau dans l'individu selon la formule de Nietzsche. » (p. 349) Décrit le parti-pris, « ce roc de fatalité », ce « je suis cela » de Nietzsche. » (p. 362) Parle du « créateur de valeurs de Nietzsche ». (p. 363)
LICHTENBERGER Henri, « Histoire de la musique : la musique allemande au XIXème siècle : Richard Wagner », {Revues générales}, in Revue de synthèse historique, tome XV-2, n˚44, octobre 1907, p. 211-236.
Remarque que « les théories de Wagner sur la musique semblent bien avoir perdu du terrain depuis quelques temps » et souligne : « Il semble que sur ce point en particulier, les critiques de Nietzsche aient fait impression. » (p. 232) A ce sujet, évoque brièvement la thèse récemment soutenue en Sorbonne par Pierre Lasserre, Les idées de Nietzsche sur la musique (p. 232-233).
PINEAU Léon, « La littérature allemande à la fin du XIXème siècle. Du naturalisme au néo-romantisme », in Revue de synthèse historique, tome XV-2, n˚44, octobre 1907, p. 159-178.
Remarque qu'à partir de 1885, après quinze années de lassitude et d'incertitude, les jeunes écrivains allemands « soutenus par l'abondante pâture d'idées qu'à pleines mains Nietzsche leur avait jetée, pâture excitante et qui pour beaucoup fut indigeste, se lancèrent enfin, à corps perdu, dans la vie. » (p. 159) Présente Richard Dehmel comme « un penseur, élevé dans le culte de Nietzsche. » (p. 176) Evoque « les poètes de l'art pour l'art », Hugo von Hoffmannsthal et Stefan George, qui prétendent ne s'exprimer que pour « une élite de délicats et de raffinés » : « La poésie est assimilé à l'opium, au haschich, au champagne. Toutes choses de luxe à l'usage exclusif des « surhommes ». L'âme est insensiblement transportée de ce monde misérable dans le monde futur annoncé par Nietzsche : et là, où l'homme vulgaire ne parvient point avec des soucis et son prosaïsme, là est le bonheur rêvé, le bonheur réservé à la nouvelle aristocratie. » (p. 177)
FOUILLEE Alfred, « Doit-on fonder la science morale et comment? », in Revue philosophique de la France et de l'étranger, tome 64, n˚11, novembre 1907, p. 449-475.
Explique que sa théorie des idées-forces suppose comme fondement psychologique les fins idéales de l'humanité : écarte alors Nietzsche en remarquant : « Qu'un Nietzsche arrive réellement à établir la théorie « haschichéenne » du « Rien n'est vrai », il aura justifié du même coup la pratique du "Tout est permis. » (p. 463) Explique que la doctrine des idées-forces dépassera la théorie nietzschéenne (p. 469-470).
Cet article est un extrait de l'Introduction à son ouvrage, La Morale des idées-forces.
MOREAS Jean, "Voltaire et la Tragédie", in Les Cahiers de l'Université Populaire, t. 2, n°23, novembre 1907, p. 1025-1032.
Nietzsche outrait à peine lorsqu'il écrivait : « Voltaire fut le dernier des grands poètes dramatiques qui entrava par la mesure grecque son âme aux mille formes, née même pour les plus grands orages tragiques, — il pouvait ce qu'aucun Allemand ne pouvait encore, parce que la nature du Français est beaucoup plus pareille de la grecque que la nature de l'Allemand; - de même qu'il fut aussi le dernier grand écrivain qui, dans le maniement de la langue de la prose, eut l'oreille d'un Grec, la conscience d'artiste d'un Grec, la simplicité et l'agrément d'un Grec..» (p. 1031-1032)
Conclut: "C'est encore Nietsche (sic) qui fait observer que si Sophocle est parvenu à tant de noblesse, de grâce et de mesure, c'est qu'il ne craignait pas de mettre de l'eau dans son vin.
Oui, Nietzsche a raison : que celui qui le peut fasse de même, comme homme et comme artiste !" (p. 1032)
ROBERTY Eugène de, « Le rôle civilisateur des abstractions. Du totémisme au socialisme », in Revue philosophique de la France et de l'étranger, tome 64, n˚11, novembre 1907, p. 476-494.
Convaincu du rôle civilisateur des abstractions, remarque : « C'est si vrai que c'est justement à notre époque - caractérisée par un foisonnement prodigieux de menues connaissances qui échappent aux processus réducteurs et régulateurs de l'abstraction et de la généralisation - que ce cri sacrilège a retenti comme un appel à la délivrance : à bas le savoir hostile à la vie! Au lieu d'exciter la réprobation universelle, cette parole impie eut un écho retentissant ; elle trouva des auditoires enthousiastes. Telle nous semble la raison cachée de l'influence qu'exercèrent sur les esprits contemporains le pathos cruel d'un Nietzsche ou la philosophie naïve d'un Tolstoï. » (p. 476) Etudie le cas de Nietzsche qu'il trouve « particulièrement instructif » et souligne : « (...) dans ses invectives les plus violentes contre la science, Nietzsche apparaît toujours, en vérité, comme le servant involontaire, l'organe inconscient de ce troupeau humain qui lui faisait horreur, de ces foules abêties pour lesquelles il n'avait pas assez de dédain et de méprisante pitié. Sans s'en douter, il défend avec une vigueur que personne ne surpassa, les intérêt pressants de la multitude, ses droits imprescriptibles aux hautes jouissances de l'âme. » (p. 477) Conclut son analyse des idées de Nietzsche : « Quoiqu'il en soit, le cri d'alarme jeté par les prédécesseurs de Nietzsche et par Nietzsche lui-même dans l'intérêt direct - je le répète - des foules démocratiques, fut des plus utiles. Par lui s'exprima l'un des besoins urgents de l'époque. » (p. 477)
DORCHAIN Eugène, {Revue des livres}, in Annales politiques et littéraires, n°1271, 3 novembre 1907, p. 414-416.
Compte-rendu de Jehanne
d'Orliac, Les murmures, les chants, les cris, Paris, Sansot, 1907. Note que le livre contient une épigraphe de Nietzsche: « Deviens qui tu es. »
Regrette moqueur: « (...) on devine qu'elle ne manque jamais de se dire, avant de prendre la plume:
— Soyons excessive, frénétique, fatale, morbide, amorale, énigmatique, compliquée, nietzschéenne... C'est là grande
manière!
Non, ce qui est beau, ce qui est grand, c'est la santé, c'est la simplicité, c'est l'équilibre. L'incohérence n'a rien à faire avec le génie; l'attaque de nerfs ne
prouve pas la force nerveuse; ce n'est pas une supériorité que d'être malade. » (p. 415)
LICHTENBERGER Henri, « E. Seillière. - Der demokratische Imperialismus. Rousseau, Proudhon, Marx », {Littérature allemande}, in Revue universitaire, tome II, n˚9, 15 novembre 1907, p. 331-333.
Rappelle que l'auteur a précédemment étudié « en Gobineau et Nietzsche deux représentants authentiques de l'impérialisme de race et de l'impérialisme individuel. » (p. 331)
Cf. E. Seillière, Der demokratische Imperialismus. Rousseau, Proudhon, Marx, Berlin, Barsdorf, 1907. Il s'agit du troisième volume d'Ernest Seillière, La philosophie de l'impérialisme. La traduction allemande a été publiée avant l'original en français et est plus complète que l'édition française.
VOGÜE Eugène-Melchior de, "Comment rapprocher la France de l'Allemagne?", in Gazette de Lausanne, 23
décembre 1907, p. 1.
Lettre en réponse à un questionnaire sur le sujet. Note: "Aux jours de ma jeunesse, Schopenhauer jouissait, dans les sociétés françaises les moins philosophiques, d'un crédit et d'une vogue qui rendaient jaloux nos philosophes moins écoutés. Nietzsche lui a succédé dans l'engouement d'une autre génération de Français. Le géant Wagner, incompris chez nous avant 1870, a envahi depuis lors tout le ciel musical : en dehors même et au-delà de son art, ce prodigieux poète a commandé dans tous les arts certaines façons nouvelles de voir, de sentir, de rêver. Plus récemment, nous avons fait grand et juste accueil aux admirables romans de Sudermann, aux pièces de Hauptmann. L'échange scientifique continue, toujours plus abondant."